Nos rapports au langage

Nous, les humains, avons développé un langage très élaboré pour entrer en relation les uns avec les autres et pour tenter de comprendre le monde (y compris nous-mêmes). Le langage est en quelque sorte un pot commun dans lequel chacun puise pour parler et réfléchir.

Certaines personnes parlent principalement pour meubler, d'autres pour se faire valoir ou pour nous amener à dire ou faire des choses, d'autres pour dialoguer sans chercher à nous entrainer nulle part. Nous pouvons représenter schématiquement le pot commun du langage et ces trois rapports au langage :


1 Expression empruntée à Jacques Lacan que nous nous sommes appropriée


Selon les situations nous parlons d'une façon ou d'une autre, mais nous avons pu être conditionnés par notre éducation à être plus fréquemment dans l'un de ces trois rapports au langage.

Dans le Rapport Symbolique au Langage (RSL), les mots sont utilisés pour penser et pour ordonner ce qui se passe en nous, autour de nous et pour en dire quelque chose à l'autre sans chercher à le dominer, ni le heurter. Le sens est un point d'appui et la parole engage.

Le RSL est intrinsèquement lié à une posture relationnelle appelée posture d'apparentement. Cela signifie que la personne qui parle est dans une disposition à s'accorder avec son interlocuteur d'égal à égal, avec empathie et bienveillance quelles que soient les différences d'âge, de sexe, de niveau d'études, etc. En cas de désaccord elle cherche un terrain d'entente. Lorsque son interlocuteur est lui aussi dans RSL les conditions sont réunies pour que la confiance s'installe, c'est ce que nous appelons le mode relationnel d'apparentement. La relation est détendue.

Le moulin à paroles : la personne parle de tout et de rien, changeant de sujet facilement, évitant de répondre à des questions trop précises, et veillant à ce que le silence ne s'installe pas. Elle évite de parler d'elle et de s'engager dans une discussion trop approfondie. Le langage fait le lien avec autrui sur un mode superficiel.

Lorsque deux personnes sont dans le moulin à paroles il peut tourner pendant longtemps. Le contenu importe peu, il peut même se dire une chose et son contraire sans que cela soit gênant, les personnes ne se sentant pas engagées dans ce qu'elles disent. Elles peuvent changer d'avis simplement pour continuer à parler tranquillement.

Le langage au Service de la Rivalité (LSR) : le langage est instrumentalisé dans le cadre d’une relation vécue comme un rapport dominant-dominé ou supérieur-inférieur, vécu caractéristique de la posture relationnelle de rivalité. La personne dit ce qu’elle pense devoir dire pour s'assurer la place de dominant (ou supérieur) ou pour acter qu'elle est à l'autre place.

Une personne étant dans la posture de rivalité en position de domination utilise le langage pour intimider son interlocuteur ou pour le manipuler. Elle peut hausser le ton, lui parler de manière autoritaire, utiliser volontairement des mots trop compliqués ou des arguments cinglants, lui couper la parole ou la monopoliser et ignorer ce qu'il dit, manipuler ses sentiments et/ou les informations qu'elle lui donne. Elle peut aussi dire une chose et son contraire, ce qui compte c'est ce qu'elle dit dans l'immédiateté de la relation, et si son interlocuteur lui rappelle ce qu'elle a dit précédemment elle le nie, ou l'accuse de n'avoir pas bien compris.

Lorsque deux interlocuteurs sont dans la posture de rivalité, ils sont en concurrence pour occuper la place de dominant-supériorité. C'est "à qui gagnera" à moins que l'un s'accommode de la place inférieure. Il l'actera alors en se taisant, ou en approuvant son interlocuteur par principe, voire en l'admirant tout en s'auto-dévalorisant éventuellement.

A quoi sert l'éloquence ?  

Nous entendons souvent parler Du langage. Sa maîtrise est valorisée en tant que telle, pourtant le plus important est de savoir à quoi elle sert.

L'éloquence dans le LSR : la personne utilise ses capacités langagières à des fins personnelles, par exemple pour manipuler l'interlocuteur et obtenir de lui quelque chose, souvent à son insu, ne serait-ce parfois qu'une approbation silencieuse. Dans un contexte économique fondé sur la recherche exacerbée de profits (le capitalisme), l'éloquence est au service de la « communication » de l'entreprise, qui vise à tromper les employés, les partenaires et même les clients, à leur faire croire que c'est l'amélioration de la qualité (ou du rapport qualité-prix) qui est visée. Même problématique dans les services publics, mais pour des raisons différentes. L'hyper rentabilité n'y est pas recherchée uniquement pour éviter le gaspillage, mais aussi parce que l'État manque d'argent.

Le LSR s'est banalisé. Il est mis en scène dans des séries, des dessins animés, des publicités, des chansons, qui font la part belle au mensonge et à la manipulation. Ça créé une sorte de discours dominant qui légitime implicitement le fait de mentir et de manipuler. Il en découle un auto-renforcement entre les conduites individuelles et celles mises en scène dans des fictions ou des publicités. 

L'éloquence au service du moulin à paroles : elle agrémente les relations superficielles.

L'éloquence dans le RSL : la personne cherche à exprimer le plus justement sa pensée, son ressenti. Sa maîtrise du langage est un atout pour se faire bien comprendre. Elle est mise au service de son interlocuteur, s'il n'a pas eu la chance d'acquérir l'éloquence.  

La posture relationnelle d'apparentement nous fait expérimenter que nous pouvons avoir confiance en ce que nous dit une personne. Elle dit ce qu'elle pense et ce qu'elle ressent, elle est donc assez stable dans son discours. Elle peut éventuellement se tromper mais elle capable de le reconnaître. Elle peut éventuellement changer d'avis, mais elle est capable d'expliquer pourquoi. Quand elle s'engage à faire quelque chose elle le fait et si elle a un empêchement elle le dit. C'est très reposant de pouvoir s'appuyer sur la parole de notre interlocuteur.