Le défi des humains

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Depuis notre apparition sur terre nous, les humains, avons étendu nos connaissances à l'échelle de la planète puis au-delà, mais c'est sur terre que nous devons trouver un chemin pour vivre ensemble en paix.

C'est un vœu pieux nous a-t-on dit (à nous les auteurs), impossible à atteindre à cause de la nature humaine. L'homme serait "un loup pour l'homme" selon l'expression de Hobbes au 17è siècle. Cent ans plus tard il a été dit l'inverse, l'homme serait "bon par nature" (Rousseau) et les faits donnent raison tantôt à l'un, tantôt à l'autre. Si l'humain est capable du pire comme du meilleur, c'est sans doute parce qu'il les porte en germe tous les deux.

La contradiction constitutive des humains

Nous (humains) avons tous un Ego qui nous pousse à l'égoïsme, avec des degrés. À bas bruit c'est « voir midi à sa porte ».  C'est aussi ne pas reconnaître ses tords, mépriser l'autre,  vouloir avoir le dernier mot à tout prix, quitte à s'imposer ou manipuler un interlocuteur pour l'amener à quelque chose. L'influence de l'Ego peut aussi conduire à des faits de violence sur autrui. Heureusement nous avons aussi Quatre Exigences Fondamentales (4EF) de sens, justice, paix et amour qui lui font contrepoids. Ces 4EF sont observables chez les jeunes enfants. Dès qu'ils commencent à parler ils posent des questions, souvent très pertinentes ; ils cherchent à comprendre le sens de ce qui se passe autour d'eux. Ils sont choqués par les injustices, d'autant plus s'ils constatent que des adultes s'en accommodent. Ils aiment les ambiances paisibles ; des enfants vivant dans un environnement tendu avec de nombreuses disputes cherchent des lieux de paix, chez des voisins accueillants ou au contact de la nature. Quant à l'exigence d'amour, à entendre au sens de l'amour d'autrui qui fonde l'empathie, elle est mise en acte par les très jeunes enfants qui peuvent tendre leur doudou spontanément à un enfant qui pleure. L'empathie est présente d'emblée chez les humains. Dans les maternités, à l'époque où les nouveaux-nés dormaient dans une nursery pour que les mamans se reposent après l'accouchement, le personnel savait que si l'un pleurait il fallait l'apaiser rapidement ou le sortir de la pièce pour ne pas que sa détresse se propage et fasse pleurer les autres.

La thèse de Hobbes (l'homme est un loup pour l'homme) a longtemps été justifiée par une référence à la nature. La loi du plus fort était considérée comme la loi de la nature, mais maintenant des études montrent qu'il y en a une autre. Deux biologistes ont publié en 2017 un livre s'intitulant L'entraide – L'autre loi de la jungle1.

Notre développement cognitif nous a rendus capables d'imaginer des choses qui n'existent pas et de nous projeter mentalement dans des scénarios fictifs2. Nous nous sommes éloignés de plus en plus de la nature et de l'observation, donc des faits. Nous avons aussi développé une capacité de collaboration à très grande échelle grâce au partage massif de croyances. Tant et si bien que nous avons dompté la nature, puisé dans ses ressources sans retenue et l'avons repoussée pour construire de gigantesques métropoles. Elles sont de pierres, de béton, de verre et de routes bitumées, mais aussi de bric, de broc et de chemins de terre si l'on envisage les immenses bidonvilles qui les entourent parfois.

Comment se fait-il que l'humain, avec toutes ses capacités, ait finalement produit une immense injustice sociale ? Nous défendons l'idée que c'est parce qu'il a agi majoritairement et depuis la nuit des temps sous l'influence de son Ego. Nous allons l'expliciter en revisitant l'histoire de l'humanité à la lumière des connaissances de la psychologie.

1 Pablo SERVIGNE et Gauthier CHAPELLE. Éditions LLL – 2017

2 « Sapiens » de Yuval NOAH HARARI – Albin Michlel - 2020

Collusion entre l'exercice du pouvoir et l'Ego

Lorsque les humains ont commencé à se sédentariser des hommes ont organisé ces concentrations humaines (au détriment des femmes mais c'est un autre sujet) et ont pris goût au fait que l'exercice du pouvoir leur permettait d'obtenir des privilèges qui nourrissaient leur Ego. Ils ont administré ces premières cités avec le consentement des populations. Il est rassurant pour nous les humains de nous en remettre à quelqu'un qui veille à notre sécurité, car cela résonne avec notre expérience de petit enfant pris en charge par un adulte. Que cet adulte dysfonctionne par ailleurs n'y change pas grand chose pour l'enfant, il ne le voit pas. Il ne peut le percevoir qu'en grandissant, sauf s'il met pas en place un mécanisme de défense visant à préserver ce lien de confiance confortable malgré tout.

Revenons à la période du néolithique. Les populations acceptaient de se mettre sous l'autorité des personnes ayant pris le pouvoir. Elles pouvaient travailler dur pour elles, jusqu'à déplacer d'énormes pierres (Menhirs, Dolmens, etc.), mais des traces moins visibles de cette époque montrent que ces concentrations humaines étaient régulièrement démantelées3. L'hypothèse a été faite que lorsque le pouvoir devenait trop injuste, trop violent, les populations partaient en migration et créaient une autre cité plus loin... et ainsi de suite.

L'histoire n'a fait que répéter ce type de scénario à des échelles de plus en plus grandes au fur et à mesure que les moyens techniques permettaient de contrôler des territoires de plus en plus vastes et des populations de plus en plus importantes.

3 "Les dix millénaires zappés qui ont fait l'histoire" de Jean-Paul DEMOULE – Éditions Fayard 2019

Les religions monothéistes ont été un facteur de stabilisation de ces organisations politiques pyramidales, en les légitimant tout en en retirant des avantages. Quant à la monnaie, elle est vite devenue un outil au service de la domination des individus entre eux et au service du pouvoir politique pour prélever des impôts souvent injustes.

L'organisation paternaliste pyramidale et injuste du pouvoir satisfait les personnes qui  en tirent des bénéfices. D'autres ne font que s'en accommoder, ayant toujours connu ce type d'organisation elles ne peuvent pas le remettre en cause. D'autres enfin se rebellent et organisent des luttes contre les pouvoirs abusifs. Les nations ont émergé sur ce modèle, elles  sont agitées intérieurement par des conflits pour l'accès à la jouissance du pouvoir ou pour le renverser. Elles s'affrontent pour des questions de territoires et/ou d'intérêts économiques. Certaines personnes justifient cette organisation pyramidale en s'appuyant sur le fait qu'on la retrouve chez les animaux. Pourtant il n’existe pas dans la nature d’organisations pyramidales reconduisant à leur sommet des héritiers. Les dessins animés du type Le Roi Lion entretiennent cette fausse croyance, mais ne sont que des projections humaines sur le règne animal.

Nos organisations pyramidales fonctionnent le plus souvent de manière injuste. Les personnes étant en haut sont survalorisées et ont des privilèges tandis que celles d'en bas sont dévalorisées et défavorisées. Il existe néanmoins des organisations hiérarchisées qui fonctionnent autrement. C’est le cas des corporations destinées à des missions spécifiques comme une compagnie de sapeurs-pompiers. La hiérarchie est acceptée car indispensable pour assurer la mission (sauver les personnes et les biens), et la compagnie fonctionne bien parce qu’il y a un lien de confiance entre tous et une véritable reconnaissance de l'importance du rôle de chacun. Pendant le temps de l’action, des ordres partant du haut de la pyramide traversent tous les échelons hiérarchiques et sont appliqués au mieux, quitte à être modifiés parfois en fonction des contraintes du terrain. La mission des sapeurs-pompiers faisant consensus, elle guide les décisions et les actions de chacun pour une meilleure efficacité tout en évitant les risques inutiles. Lors du débriefing systématique la base exprime ses difficultés et ses éventuelles propositions pour y remédier. Les sapeurs-pompiers de terrain ne valent pas moins que ceux qui les dirigent.

Chez les sapeurs-pompiers la hiérarchisation des fonctions ne donne pas lieu à une hiérarchisation des personnes, alors que c'est ce qui se passe dans la majorité de nos organisations pyramidales. Ce glissement est la conséquence des agissements des membres de l'organisation qui se laissent happer par leur Ego et agissent sous son influence. Ils sont dans ce que nous appelons le "trop d'Ego". Précisons ce qu'est l'Ego.

L'Ego et la hiérarchisation des personnes

L'Ego est la représentation de soi. Il se construit dès la petite enfance, lorsque le bébé commence à comprendre qu'il est une personne parce que ses parents lui parlent, parlent de lui et ont plaisir à le faire se reconnaître dans un miroir. Il a parfaitement conscience d'être dans les bras de son parent et n'est pas sûr que c'est lui qu'il voit dans le miroir. Il se tourne alors vers son parent qui le lui confirme4. Par la reconnaissance de son image dans le miroir et de son prénom l'enfant accède à la représentation de soi. Elle est l'embryon de son Ego.

La dimension visuelle de l'Ego via le miroir a un effet potentiellement nocif. Si des parents accordent plus d'importance à l'image de leur enfant qu'à son Être (ce qu'il est réellement), l'enfant fait pareil. Il se focalise sur son image, son apparence, ce qui le décentre de son Être et de ses 4EF. Sa bonne estime-de-soi dépend alors de ce que les autres disent de lui, car après la parole initiatique lui ayant indiqué qu'il était dans le miroir des jugements arrivent. Ils impactent l'enfant dans toute sa personne puisque l'Ego le représente. L'enfant se sent alors "être quelqu'un de bien" un "moins que rien" selon la qualité des jugements. Il peut même développer un complexe de supériorité ou d'infériorité.

Une personne qui a pris l'habitude d'entrer en relation avec les autres via son Ego cherche inconsciemment sa valeur dans leur regard, ou cherche à se rassurer en prenant l'ascendant sur eux, se plaçant en supériorité. Elle est dans une posture relationnelle, dite de "rivalité". C'est source de tensions pour elle et pour ses interlocuteurs.

4 Expérience conceptualisée par J. LACAN sous le nom de Stade du miroir.

Conséquence de la hiérarchisation des personnes sur le fonctionnement des organisations sociales pyramidales   

Quand la majorité des membres d'une organisation optent pour la posture de rivalité où s'en accommodent, pensant que c'est une fatalité, l'organisation dysfonctionne. Elle entérine la hiérarchisation des personnes et les différences de traitement en fonction de leur niveau hiérarchique. La référence à la nature sert souvent de justification, ainsi que l'antériorité millénaire de ce type de fonctionnement. Sommairement l'argumentation tient en une phrase "ça a toujours été comme ça, c'est naturel et ça ne peut pas être autrement".

Précisons pourquoi l'Ego contribue à pérenniser le dysfonctionnement des organisations pyramidales. S'approcher d'un chef (petit ou grand) nourrit l'Ego et ce gain narcissique est majoré par l'octroi d'avantages matériels et/ou pécuniaires, fussent-ils maigres en bas de l'échelle hiérarchique. Les personnes qui recherchent cela défendent ce mode de fonctionnement. Insistons sur le fait que la plupart du temps elles pensent sincèrement qu'il est nécessaire de s'adapter à ce fonctionnement considéré comme naturel et inévitable.

Conséquence de la posture de rivalité sur la communauté humaine

La mondialisation a commencé avec le développement intercontinental des transports et des communications. Toute la communauté humaine fait maintenant Société5, c'est un fait. Nous vivons dans une Société pyramidale dans laquelle les personnes sont hiérarchisées par l'argent.  Nous l'appelons Pyramide (majuscule).

5 Avec une majuscule pour le signifier.

Nous y retrouvons la différence de traitement en fonction de la place dans l'échelle sociale. Les personnes qui sont en haut vivent dans une extrême richesse et celles qui sont en bas dans l'indigence. Entre ces deux extrêmes, certains s'en sortent et d'autres ont du mal à boucler les fins de mois. Narcissiquement, fréquenter une personne riche, puissante ou connue flatte l'Ego. Ce principe s'applique à tous les niveaux de la Pyramide, que ce soit en côtoyant une personnalité ou le notable d'un petit village. Les personnes qui recherchent cela, même inconsciemment, renforcent le monde tel qu'il fonctionne actuellement, celles qui s'y adaptent par défaut aussi.

Dans la Pyramide, la recherche de rentabilité financière est généralisée à tous les échelons, chez les actionnaires autant que chez la majorité des consommateurs. La vie économique prospère sur ce principe depuis longtemps. Certaines entreprises délocalisent pour réduire leurs coûts de production cherchant à augmenter toujours plus leurs marges. La consommation au moins cher est la norme, que ce soit pour l'achat d'objets, de services ou de loisirs. Les grandes multinationales répondent à cette demande des consommateurs tout en suscitant perpétuellement de nouveaux désirs de consommation, s'enrichissant encore plus grâce à l'augmentation du volume de leurs ventes. La généralisation de ces pratiques provoque un processus d'aspiration de l'argent vers le haut. Tant et si bien que de grands groupes d'intérêts privés supplantent maintenant des pouvoirs politiques nationaux. Ils ont la possiblité d'attaquer des États en justice si ces derniers prennent des décisions qui porteraient préjudices à leurs intérêts.

Les gouvernants sont soit dans une collusion d'intérêts avec les plus riches, soit sous leur pression. Là encore le principe de la suprématie des intérêts privés sur le politique est à l'oeuvre à tous les niveaux, dans les communes jusqu'aux grandes organisations internationales comme l'Europe, en passant par les échelons intermédiaires, inter-communalités, régions, etc. Les citoyens le savent plus ou moins consciemment, ce qui explique en partie les taux élevés d'abstention aux élections et le peu d'investissement dans la vie politique, y compris locale. 

Effet d'un recentrage sur les exigences fondamentales de sens, justice, paix et amour

En se référant à nos 4EF, les différences de capacité ou de fonction ne sont pas prétexte à une hiérarchisation des personnes. Les relations sont détendues, l'entraide prime et les désaccords se règlent posément. C'est ce que nous appelons la posture relationnelle d'apparentement. Le fait d'incarner les 4EF peut les faire résonner chez des proches qui s'en étaient éloignés (souvent par conditionnement éducatif et social), dans la famille, au travail, ou autre.

La généralisation de l'apparentement dans une organisation pyramidale a des effets sur son fonctionnement. Dans une entreprise par exemple, des différences de salaires exorbitantes entre les personnes étant en haut et celles étant en bas finissent par être perçues comme excessives et le mépris pour certaines tâches comme aberrant. Cette évolution des représentations conduit logiquement à un ré-équilibrage des rémunérations. Les postes d'encadrements sont moins prisés, l'exercice du pouvoir n'étant plus une jouissance mais une responsabilité. Nous pouvons illustrer schématiquement une telle évolution par des formes de moins en moins pyramidales.

Il y a déjà des entreprises qui vont dans ce sens, par exemple les Sociétés Coopératives de Production (SCOP). Il existe aussi un modèle d'organisation non-pyramidal, inspiré du fonctionnement de la nature. Il provient de la permaculture, promue par deux Australiens6 depuis les années 70.

6 Bill MILLISON et David HOLMGREN.

L’idée de base est que toutes les parties de l'organisation sont d'égale valeur, chacune étant placée dans un pétale. Il n'y a pas de hiérarchisation des fonctions. Les capacités managériales ne valent pas plus que la capacité de faire quelque chose d’utile, de solide, de beau. Chacun est libre de s’engager à la place qui lui convient en fonction de ses compétences et de ses envies. La pérennité de cette organisation repose sur ce qui est placé au cœur du modèle, l’Éthique de la permaculture : prendre soin de la nature, prendre soin de l’humain, partager la richesse. Chaque membre de l’organisation agit en conséquence, ce qui est signifié par la flèche circulaire partant du centre et traversant tous les pétales. Nul besoin de contrôler les faits et gestes de chacun. Pour fonctionner de cette façon il est nécessaire que l'objectif de l'organisation soit en cohérence avec l'Éthique de la permaculture, c'est ce qui permet de fédérer véritablement. Il peut toujours y avoir des personnes qui ont tendance à agir sous l'influence de leur Ego, mais elles sont minoritaires. Elles pourraient malgré tout destabiliser l'organisation, car la rivalité résonne avec l'Ego de chacun et pourrait se propager subrepticement. Connaître ce risque permet de mettre en place des actions pour l'éviter.

L'enjeu est de déterminer ce que nous voulons renforcer, en nous personnellement et socialement, l'Ego ou les 4EF. L'humain est confronté à cette question depuis la nuit des temps, comme l'atteste cette sagesse amérindienne :

Un vieil indien explique à son petit-fils que chacun de nous a en lui deux loups qui se livrent bataille.
Le premier loup représente la Sérénité, l'Amour et la Gentillesse.
Le second loup représente la Peur, l'Avidité et la Haine.
"Lequel des deux loups gagne ?" demande l'enfant.
"Celui que l'on nourrit." répond le grand-père.

    
Une Société plus juste est possible

La Pyramide est soumise au même principe de fonctionnement que les organisations sociales qui la constituent. Ces dernières forment simplement un niveau intermédiaire dans la chaîne qui relie les comportements individuels au fonctionnement de la Pyramide. Le monde actuel est tel que nous le créons, injuste et violent.

Nous pouvons raisonnablement penser qu'en promouvant l'apparentement le monde s'améliorerait progressivement. Chacun peut agir au regard de ses 4EF, quelle que soit sa place dans la Société : agriculteur, enseignant, entrepreneur, avocat, policier, artiste, homme politique, etc. Nous, les humains, avons la capacité de nous penser nous-mêmes et de nous remettre en cause (moyennant une petite prise de distance avec notre Ego). Le véritable progrès dont nous avons besoin c'est un progrès en humanité pour mettre enfin notre intelligence, l'économie, le politique, la science et la technique au service du bien-être de tous et de la paix.

Il est intéressant de savoir que les promoteurs de la permaculture avaient décliné leur modèle d'organisation à l'échelle Sociétale.

Il est aussi rassurant et plaisant de constater que les trois principes de la permaculture7 sont en cohérence avec nos 4EF de sens, justice, paix et amour. Cette modélisation est une utopie, en tant que telle elle nous est utile, elle nous montre le chemin, nous guide vers ce qui fait sens pour nous.

7 Prendre soin de la nature - Prendre soin de l'humain - Partager la richesse.

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