Hobbes disait au 17e siècle « L'homme est un loup pour l'homme » tandis que Rousseau affirmait un siècle plus tard « L'homme est bon par nature ». Les faits montrent que l'humain est capable du pire et du meilleur, il les porte en germe tous les deux. |
Se distancier de l'Ego (PDF de l'article)
Nous, les humains, sommes porteurs d'une contradiction. Nous avons un Ego qui nous pousse à l'égoïsme, avec des degrés, et nous avons aussi quatre exigences fondamentales de sens, justice, paix et amour qui lui font contrepoids.
Ces quatre Exigences Fondamentales (4EF) sont observables chez les jeunes enfants. Dès qu'ils commencent à parler ils posent des questions, souvent très pertinentes, cherchant à comprendre le sens de ce qui se passe autour d'eux. Ils sont choqués par les injustices et posent des questions à ce sujet "Pourquoi il dort sur le trottoir le monsieur ?" Ils aiment les ambiances paisibles ; des enfants vivant dans un environnement tendu avec de nombreuses disputes cherchent des lieux de paix, par exemple chez des voisins accueillants ou au contact de la nature. Quant à l'exigence d'amour, à entendre au sens de l'amour d'autrui qui fonde l'empathie, elle est mise en acte par les très jeunes enfants qui peuvent tendre spontanément leur doudou à un enfant qui pleure. L'empathie est présente d'emblée chez les humains. Dans les maternités, à l'époque où les nouveaux-nés dormaient dans une nursery pour que les mamans se reposent après l'accouchement, le personnel savait que si l'un pleurait il fallait l'apaiser rapidement ou le sortir de la pièce pour ne pas que sa détresse se propage et fasse pleurer les autres.
L'Ego et la posture relationnelle de rivalité
L'Ego se construit dès la petite enfance lorsque le bébé commence à comprendre qu'il est une personne du fait que ses parents lui parlent, parlent de lui, le nomment, et ont plaisir à le faire se reconnaître dans un miroir. L'Ego est une représentation globale de soi, par notre image et par notre nom. Devant le miroir le bébé n'est pas sûr que c'est lui qu'il y voit, il se tourne alors vers son parent qui le lui confirme1. Il a conscience d'être dans les bras de son parent, mais il a une confiance absolue en sa parole si bien qu'il accepte l'idée d'être aussi dans le miroir. Cette image qui le réprésente est l'embryon de son Ego, c'est une représentation très partielle de ce qu'il est réellement. Son Être réel est constitué de ressentis physiques, émotionnels et de pensées qui ne se voient pas, qui sont inaccessibles à l'autre tant qu'il n'en dit rien. C'est dans son Être que se logent les 4EF.
1 Expérience précoce présentée par Jacques Lacan (psychiatre-psychanolyste français) sous le nom de "stade du miroir".
Si des parents accordent plus d'importance à l'image de leur enfant qu'à lui même, l'enfant fait pareil. Il sur-investit son image, son apparence, ce qui le décentre de son Être et de ses 4EF. C'est lourd de conséquences pour la construction de son estime de soi et pour sa façon d'entrer en relation avec les autres.
Notre image dans le miroir est un support privilégié pour l'Imaginaire. Ce mot écrit avec une majuscule est à distinguer de l'imagination, il appartient à une trilogie de concepts créée par Jacques Lacan2 : Réel – Symbolique – Imaginaire. Le Réel est tout ce qui nous constitue et tout ce qui nous entoure, il ne peut pas être appréhendé dans sa totalité. Pour en rendre compte nous ne pouvons qu'en prélever des petits morceaux avec lesquels nous construisons des phrases, un discours, une représentation. Cette représentation est Symbolique si elle est en cohérence avec les faits, Imaginaire si elle est une interprétation des faits au regard des désirs ou des craintes de la personne.
2 Psychiatre-psychanalyste français du 20e siècle
C'est la valeur de la personne qui est est engagée dans les représentations Imaginaires, son estime de soi est alors boostée ou dégradée. L'imaginaire peut provoquer des complexes de supériorité ou d'infériorité.
Focaliser sur l'image de soi a aussi des conséquences au niveau des relations. La personne entend les compliments et les critiques à travers le prisme déformant de l'Imaginaire, ce qui met de l'enjeu dans les relations. Jacques Lacan fait un parallèle avec ce qui se passe dans les confrontations entre animaux.
Les animaux modifient leur apparence, gonflants poils ou plumes, montrant les dents, pour impressionner l'autre. Cela suffit parfois pour que l'un batte en retraite, mais cela peut aussi dégénérer en combat. Quoi qu'il en soit, il y a finalement un gagnant et un perdant. Chez les humains c'est un peu pareil.
L'enjeu de la relation pour une personne qui est centrée sur son Ego touche sa personne, sa valeur en tant que personne, son estime de soi. La femme de droite l'illustre. Elle a les sourcils froncés, les épaules redressées, elle est campée sur sa position, elle se sentirait dévalorisée de baisser les yeux. Sous l'influence de l'Ego la confrontation est narcissique, la personne se hiérarchise par rapport à son interlocuteur, se sensant supérieure ou inférieure selon l'issue.
Cette posture ancrée dans l'Ego est dite posture relationnelle de rivalité, parce que la personne essaye le plus souvent de se placer en supériorité, laissant à l'autre la place d'infériorité. Si elle a été conditionnée par son éducation à occuper la place d'infériorité, elle le vit mal. Elle peut toute fois admirer son interlocuteur et se nourrir narcissiquement du fait de le côtoyer. Même si elle a l'habitude de se mettre en supériorité elle doit parfois s'accommoder de la place d'infériorité parce qu'on ne peut pas gagner à tous les coups. Elle guette alors les occasions de (re)prendre l'ascendant sur l'autre. La place de supériorité est une place à défendre, qui peut lui être disputée à tout instant par quelqu'un d'autre étant dans la rivalité. L'enjeu des places peut aussi se décliner sur le mode dominant/dominé, ou gagnant/perdant.
Cette posture de rivalité n'est pas visible à première vue puisqu'elle relève d'une dynamique psychique, pafois inconsciente, parfois masquée par une pseudo-bienveillance. Elle est néanmoins repérable lorsque l'on porte attention à la façon dont la personne s'adresse à nous et aux autres.
En position de supériorité, la personne a du mal à accepter un point de vue différent du sien. Elle peut vouloir avoir le dernier mot à tout prix, monopoliser la parole, la couper ou ignorer ce que l'autre dit. Ramener tout à son expérience personnelle pour se faire valoir, critiquer, se moquer, juger catégoriquement. S'arc-bouter sur ce qu'elle dit même si elle n'en est pas sûre, même si elle sait qu'elle a tord. Elle ne reconnaît pas ses erreurs, les fait porter aux autres. Le plus perturbant est qu'elle peut dire une chose et son contraire car le sens ne tient pas. Elle ne dit que ce qu'elle pense devoir dire pour s'assurer la place de supériorité dans l'immédiateté de la relation. Si son interlocuteur lui rappelle ce qu'elle a dit précédemment elle nie ou l'accuse d'avoir mal compris. Être en relation avec une personne qui agit de la sorte est agaçant, fatigant et préjudiciable.
La posture de rivalité en position d'infériorité est plus difficile à repérer car les comportements qu'elle génère nous mettent moins en difficulté. La personne se tait le plus souvent, ou nous conforte par principe dans ce que nous disons ce qui flatte notre Ego. Elle peut pafois s'énerver sans raison visible, prenant par exemple un simple conseil pour un jugement négatif ou pour une injonction. Elle peut aussi changer de position brusquement et nous disqualifier pour se mettre en supériorité. Quoi qu'il en soit, l'enjeu des places de la posture relationnelle de rivalité crée de la tension et de l'instabilité dans les relations, alors qu'avec les 4EF les relations sont détendues et stables.
Les 4EF et la posture relationnelle d'apparentement
Revenons à l'époque des relations précoces et du stade du miroir. Si les parents accordent plus d'importance à l'enfant réel qu'à son image dans le miroir, il fait pareil. Il se focalise sur lui-même, sur ce qu'il pense et ressent. S'il a mal agi, les reproches de ses parents portent sur ce qu'il a fait, pas sur sa personne. Par exemple « Ce que tu as fait est méchant » et non pas « Tu es méchant ». L'enfant peut, au regard de ses 4EF, reconnaître son erreur et la réparer.
Une personne qui agit au regard de ses 4EF est dans une posture relationnelle dite d'apparentement, ce qui signifie qu'elle se place d'égal à égal avec les autres indépendamment des différences d'âge, de sexe, de niveau d'études, etc. Ses 4EF lui permettent de surmonter des échecs et même des jugements disqualifiants. Exemple, si quelqu'un lui dit « Tu es nulle » elle ne se sent pas dévalorisée dans sa personne. Elle peut, avec son exigence de sens, penser que traiter quelqu'un de nul au prétexte qu'il a raté quelque chose est excessif et injuste. Elle peut faire face à son échec et y réfléchir, s'apercevoir qu'elle avait mis la barre trop haut, ou qu'on lui avait placée trop haut. Elle peut penser avoir bien agi et repérer des facteurs imprévisibles qui ont entravés sa réussite. Elle peut éventuellement reconnaître qu'elle ne s'est pas investie suffisamment et en comprendre la raison. Si elle n'avait pas envie de faire cette chose et s'était sentie contrainte, son échec prend alors le sens d'une résistance passive.
Dans la posture relationnelle d'apparentement la personne cherche à s'accorder avec les autres. Son estime de soi n'étant pas en jeu elle est détendue et ne les juge pas. Elle peut gérer des désaccords posément en cherchant un terrain d'entente.
Choisir la posture relationnelle que nous voulons privilégier
La posture relationnelle de rivalité est fréquente parce qu'elle est valorisée socialement. Il s'agit de s'intégrer dans un monde de compétition sociale, de s'y adapter. Le discours dominant valorise le fait de savoir se faire valoir, s'imposer et masquer ses faiblesses. Il incite parfois à aider les plus vulnérables lors de campagnes ciblées sur une cause particulière, mais cela reste très marginal et surtout c'est fait en évitant soigneusement de remettre en cause le fonctionnement sociétal qui produit de la pauvreté, des maladies et des blessés. Dans un tel contexte, beaucoup de parents "arment" leurs enfants pour la vie et plus les enfants sont armés plus la compétition sociale se durçit. Ce triste constat permet néanmoins de prendre conscience que nous sommes nombreux à avoir été conditionnés à la rivalité.
Les personnes qui sont ancrées dans l'apparentement sont souvent malheureuses dans ce monde, et démunies face à une personne qui leur en impose, voire s'impose. Elles se remettent en cause facilement, ce qui les empêche de voir que c'est la posture relationnelle de leur interlocuteur(trice) qui pose problème. Elles n'osent pas le(la) confronter à son attitude, ou restent sans voix face à son culot ou sa mauvaise foi. De ce fait elles lui permettent de continuer à fonctionner de cette façon et se condamnent à subir la relation. Apprendre à répondre sans envenimer la relation est nécessaire. Ce n'est pas facile au début, mais cette dificulté est finalement moins pénible que de subir sans espoir de changement. Des conseils sont donnés pour faire face dans l'article Soigner les relations et des rencontres mensuelles, physiques et virtuelles, sont organisées pour en parler.
Une personne qui prend conscience qu'elle a été conditionnée à la rivalité et que cela ne lui convient pas peut se recentrer sur ses 4EF. Il n'est jamais trop tard pour le faire et cela fait baisser le stress immédiatement. Se déconditionner prend néanmoins du temps. La personne est donc suceptible de se remettre en rivalité malgré elle, faisant alors ce que nous appelons une "sortie de route relationnelle". Pour autant cela n'invalide pas sa démarche et elle peut toujours se repositionner dans l'apparentement et s'excuser si nécessaire.
Une personne étant généralement dans l'apparentement peut aussi faire une sortie de route relationnelle si elle est confrontée à une situation trop déstabilisante. Nous avons tous notre Ego à gérer, la question est de savoir si nous voulons que ce soit lui qui nous guide dans nos actes ou nos 4EF. Nous, les humains, sommes pétris d'une contradiction intrinsèque connue depuis la nuit des temps, comme l'atteste cette sagesse ancestrale amérindienne :
Un vieil indien explique à son petit-fils que chacun de nous a en lui deux loups qui se livrent bataille.
Le premier loup représente la Sérénité, l'Amour et la Gentillesse.
Le second loup représente la Peur, l'Avidité et la Haine.
"Lequel des deux loups gagne ?" demande l'enfant.
"Celui que l'on nourrit." répond le grand-père.