Sens - Justice - Paix - Amour

 

"L'examen de l'édifiant langage d'autrui m'amena à cette conclusion : parler était un acte aussi créateur que destructeur. Il valait mieux faire très attention avec cette invention."  Amélie Notomb a visiblement expérimenté le plaisir des échanges dans le Rapport Symbolique au Langage (RSL) et la nocivité du Langage sous l'Emprise de l'Ego (LEE).
 
 

Parler vrai (PDF de l'article)

Nous, les humains, avons développé un langage très élaboré qui nous sert à  communiquer et à nous faire une représentation du monde et de nous-mêmes. Cet outil merveilleux nous confronte néanmoins à une limite. Nous ne pouvons jamais tout dire de ce qui nous entoure et de ce qui nous constitue. Pour raconter une rencontre avec un ami nous évoquons plutôt le contenu des échanges que la météo du moment. Nous sélectionnons automatiquement, sans même y penser, ce qui nous semble le plus pertinent à dire. Jacques Lacan1 dit que nous ne pouvons jamais tout dire du Réel2 et c'est cela qui constitue la véritable castration. Il y a toujours un "reste". Jacques Lacan a fait évoluer la théorie freudienne qui considèrait la castration comme provenant d'une envie de pénis pour les femmes et d'une peur de le perdre pour les hommes.

1 Psychiatre-psychanalyste français du 20e siècle.

2  Réel : l'un des trois éléments de la trilogie de concepts lacaniens :  Réel – Symbolique – Imaginaire.

 

Pour appréhender le Réel, nous sommes donc condamnés à en prélever des fragments et à les mettre en perspective pour constuire un discours cohérent, notre réalité. Evidemment la réalité de chacun dépend des éléments du Réel sélectionnés. Même si ces derniers sont objectifs et vérifiables, cela ne confère pas pour autant un statut de vérité à la réalité qui est construite à partir d'eux. Quelqu'un d'autre peut, à partir d'autres morceaux du Réel, en construire une qui serait contraire, et l'une n'est pas plus vraie que l'autre. Malgré cela le langage reste le premier vecteur de communication.

Le langage (mots – règles de grammaire et de syntaxe) est une sorte de pot commun dans lequel chacun puise pour parler et pour réfléchir. Selon la situation dans laquelle nous sommes, notre rapport au langage peut changer.

Parfois nous parlons simplement pour faire lien social, sans trop nous préoccuper du contenu de ce qui est dit. C'est le "Moulin à parole". Parfois nous exprimons véritablement ce que nous pensons et ressentons et souhaitons un partage authentique et réciproque avec notre interlocuteur. C'est le "Rapport Symbolique au Langage" (RSL). Et parfois nous parlons dans le cadre d'une relation altérée par notre Ego. C'est le langage sous l'Emprise de l'Ego (LEE). Nous pouvons avoir été particulièrement familiarisés avec l'un ou l'autre de ces rapports au langage en fonction de notre éducation.

Le moulin à parole : la personne parle aisement de tout et de rien, changeant de sujet facilement et veillant à ce que le silence ne s'installe pas. Elle parle plus volontiers des autres que d'elle, interpelle son interlocuteur pour qu'il s'exprime tout en évitant qu'un sujet devienne trop sérieux ou trop engageant. Le langage fait lien social sur un mode léger, voire superficiel.

Lorsque deux personnes sont dans le moulin à parole, elles peuvent échanger longtemps et peu importe le contenu. Il peut se dire une chose et son contraire sans qu'il y ait de gêne, les personnes n'étant pas vraiment engagées dans ce qu'elles disent. Le but est simplement de continuer à échanger tranquillement, donc en évitant les sujets susceptibles d'introduire de la discorde. 

Le Rapport Symbolique au Langage (RSL) : la personne utilise les mots pour penser et pour ordonner ce qui se passe en elle, autour d'elle et pour en dire quelque chose à l'autre sans chercher à le dominer, ni le heurter. 

Le RSL est intrinsèquement lié à une posture relationnelle dite d'apparentement. Ce mot signifie que la personne est dans une disposition à s'accorder avec son interlocuteur d'égal à égal, avec empathie et bienveillance quelles que soient les différences d'âge, de sexe, de niveau d'études, etc. En cas d'incompréhension elle cherche à clarifier ce qui est dit, en cas de désaccord elle cherche un terrain d'entente. Le sens est pour elle un point d'appui et sa parole l'engage. Lorsque son interlocuteur est lui aussi dans le RSL les conditions sont réunies pour que la confiance s'installe. La relation est alors détendue, efficace dans le cadre d'une coopération.

Le langage sous l'Emprise de l'Ego (LEE) : la personne vit la relation comme une confrontation dont l'issue impacte son estime de soi. Pour préserver sa bonne estime de soi elle a tendance à se placer comme étant supérieure à son interlocuteur. Le LEE lui sert à prendre l'ascendant sur lui par toutes sortes de moyens lui permettant de se faire valoir, de l'intimider, de le manipuler (souvent inconsciemment). Le fait de se hiérarchiser par rapport à son interlocuteur le conduit parfois à être en position d'infériorité (on ne peut pas gagner à tous les coups). Elle l'acte en se taisant, en acquiessant par principe à ce qu'il dit, voire en s'auto-dévalorisant. Elle peut aussi guetter la première occasion de (re)prendre l'ascendant. 

Le LEE est intrinsèquement lié à une posture relationnelle dite de rivalité, parce que la personne essaye le plus souvent de se placer comme étant supérieure à son interlocuteur. La hiérarchisation des places se joue non seulement dans un rapport supérieur/inférieur mais aussi dans rapport dominant/dominé ou gagnant/perdant. Si la personne a été conditionnée par son éducation à occuper la place d'infériorité, elle le vit mal. Pour préserver sa bonne estime de soi elle peut admirer un interlocuteur et se nourrir narcissiquement du fait de le cotôyer. 

Lorsque deux interlocuteurs sont dans le LEE, il y a souvent concurrence pour occuper la position de supériorité. La relation est souvent jalonnée de changements de position, sauf si l'un a été conditionné à se penser inférieur. Pour prendre l'ascendant dans la relation, la personne dit ce qu'elle pense devoir dire pour y arriver dans l'immédiateté de la relation. Elle peut donc se contredire car ce qu'elle a dit avant ne compte plus. Si son interlocuteur le lui rappelle, elle nie ou l'accuse de n'avoir pas bien compris. Le fait que le sens ne tienne pas est très perturbant pour des interlocuteurs qui sont dans le RSL, car pour eux le sens est un point d'appui.

A quoi sert l'éloquence ?

Nous entendons souvent parler du langage et sa maîtrise est valorisée en tant que telle. Des concours d'éloquence sont organisés, qui pourraient nous faire oublier d'interroger la finalité du bien-dire.

L'éloquence dans le LEE : la personne use de toute une panoplie d'artifices langagiers pour se faire apprécier, admirer et pour convaincre son interlocuteur. Plus elle maîtrise la langue plus elle y arrive. Elle jongle avec les mots, présente des raisonnements à première vue irréfutables mais fondés sur des prémisses non dits tout à fait discutables. Elle sait aussi jouer sur les sentiments de son interlocuteur pour arriver à ses fins. 

Nous vivons dans un monde de compétition sociale,dans lequel il faut se battre pour faire sa place et/ou pour la garder. Un monde qui hiérarchise les personnes sur la base de toutes sortes de critères objectifs en terme de capacités, mais aussi sur des critères idéologiques comme la richesse, la beauté, le statut social, etc. Un monde dans lequel règnent la posture de rivalité et le LEE, et nous n'en sommes pas dupes lorsque nous disons d'un discours qu'il n'est « que de la communication ».

L'éloquence dans le moulin à parole : la personne agrémente des relations superficielles par de belles figures de style, éventuellement assorties de références littéraires ou philosophiques. 

L'éloquence dans le RSL : la personne exprime avec clareté ses pensés et ses ressentis, permettant ainsi à son interlocuteur de se positionner vis à vis d'elle en connaissance de cause. Elle nourrit des échanges constructifs. Sa bonne maîtrise du langage dans le RSL lui permet de construire une réalité fine et nuancée du Réel qui s'appuie non seulement sur des faits qu'elle a elle-même sélectionnés mais aussi sur ceux qui lui sont présentés par son interlocuteur. C'est ainsi qu'elle contribue à solutionner des problèmes posément et de manière durable. 

Le piège de l'Imaginaire

Une personne trop ancrée dans son Ego est non seulement prisonnière de la posture relationnelle de rivalité et du LEE, mais elle est aussi aveuglée par l'Imaginaire. Il s'agit ici de l'Imaginaire lacanien qui est à distinguer de l'imagination. Les représentations Imaginaires du Réel déforment les faits sur la base des désirs ou des craintes de la personne et se présentent à elle comme des certitudes. Elle est donc convaincue que sa représentation du Réel est vraie, plus vraie que celle des autres, elle n'est donc pas disposée à s'enrichir de leurs représentations. Inconsciemment elle croit qu'elle appréhende le Réel dans sa totalité. 

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