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Cet essai fut précédé par des livres auto-édités Quelle société voulons-nous ? Osons l'optimisme ! dont l'édition de 2019 est encore disponible dans les librairies. Les éditions de 2014 - 2015 et 2016 sont disponibles en format PDF sur demande. Ci-dessous les préfaces des auto-éditions : 2019 Préface de Noémie OCHOA - Pianiste. 2016 Préface de Laurence LOULMET - Maître de Conférences Sciences Économiques - Université de Poitiers. 2015 Préface de Michel BILLÉ - Sociologue - Auteur entre autres de La société malade d'Alzheimer. 2014 Pas de préface. Le texte a été imprimé rapidement entre deux conférences à la demande des auditeurs, §§§
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La réflexion d'Anne et Gilles a impacté le travail d'Anne en cabinet. À son départ à la retraite, elle a transcrit dans un petit essai les repères qu'elle transmettait à ses patients. |
Éditions La Guillotine - 2023 10 euros |
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Avant-propos
Cher lecteur, si vous ouvrez ce livre c’est peut-être parce que vous sentez, vous voyez, que notre société ne répond pas à vos aspirations profondes. Nous avons entamé une réflexion à ce sujet en partant de nos incompréhensions et nos craintes au regard de ce qui se passait autour de nous et dans le monde, c’était en 2011. Nous vivions mal l’agressivité des relations qui nous semblait augmenter au fil des années. Nous pensions que si nous arrivions à en comprendre les raisons nous pourrions contribuer à la faire diminuer.
Nous avons transmis régulièrement les avancées de notre travail au travers d’une conférence, ré-écrite à chaque fois parce que les échanges avec les auditeurs nourrissaient notre réflexion. À leur demande nous en avons publié le texte, puis nous avons créé le site internet Quelle société voulons-nous ? Osons l’optimisme ! (quellesociete.fr). Les articles du site pouvaient être mis à jour plus facilement que le livre qui devait être ré-imprimé. Après quatre auto-éditions nous avons trouvé un éditeur. Il a accepté que le texte reste en accès libre sur notre site et que nous fassions des mises à jour régulières du livre.
Notre démarche humaniste se veut rigoureuse. Nous proposons une grille de lecture qui explicite pourquoi nous, les humains, avons créé un monde injuste. Un monde dans lequel une infime partie de la population vit dans l’extrême richesse1, une autre n’a pas de quoi vivre décemment, et entre les deux, certains s’en sortent tandis que d’autres ont du mal à boucler les fins de mois. Ce contexte est propice à la violence et à des révoltes.
Des personnes pensent que l’agressivité et la violence sont inéluctables, car provenant de la nature humaine. Elles adhèrent à l’idée, affirmée par Hobbes au 17e siècle, que « L’homme est un loup pour l’homme ». Un siècle plus tard Rousseau avait assuré l’inverse « L’homme est bon par nature », en précisant que c’était la société qui le pervertissait. Les faits donnent raison tantôt à Hobbes (faits-divers, exploitation humaine, faits de guerre) tantôt à Rousseau (actes héroïques pour sauver des personnes et plus quotidiennement pour leur venir en aide). Cette controverse philosophique est finalement dépassable. Si l’humain est capable du pire comme du meilleur, c’est parce qu’il porte les deux en lui.
Nous avons découvert que la compétition sociale l’agressivité et la violence ont une racine commune : le trop d’ego. Nous avons aussi repéré que l’humain est porteur de quatre exigences fondamentales de sens, de justice, de paix et d’amour qui font contrepoids à son ego, ce qui est source d’espoir. Les humains ont le potentiel pour créer un monde désirable.
De nombreux intellectuels, des personnalités politiques et des personnes compétentes dans les domaines visités (économie, politique, psychologie, écologie), ainsi que nos premiers auditeurs et lecteurs, ont alimenté et alimentent encore notre réflexion. Nous les remercions tous. Certains thèmes abordés succinctement dans le livre, pour éviter les digressions, peuvent être approfondis en se référant aux articles de notre site.
(1) « Inégalités mondiales » article du magazine Finance & développement (mars 2022), publié par le FMI.
1 - Le monde actuel
Nous vivons dans un monde pyramidal dans lequel les personnes sont hiérarchisées par l’argent. Être riche suscite le plus souvent du respect, voire de l’admiration. Ce gain narcissique associé à la richesse peut provoquer une recherche exacerbée d’enrichissement dans toutes les classes sociales. Il s’agit par exemple de jouer des coudes pour grimper dans l’ascenseur social, de réduire des coûts de productions par tous les moyens pour vendre plus, de pousser des entreprises concurrentes à la faillite, de domicilier une multinationale dans un paradis fiscal pour éviter l’impôt, de spéculer, de participer à des trafics illicites qui provoquent des drames.
De manière moins spectaculaire mais néanmoins très impactante, la consommation au moins cher est devenue la norme pour ceux qui veulent se procurer tout au moindre prix, objets, services et loisirs. Quand posséder toutes les nouveautés permet de se rassurer narcissiquement, il faut trouver des moyens d’acheter tout le moins cher possible, y compris les produits du quotidien. Les grandes multinationales répondent à cette demande généralisée des consommateurs tout en suscitant perpétuellement de nouveaux désirs de consommation. Elles s’enrichissent encore plus grâce à l’augmentation du volume de leurs ventes. Les entreprises de moindre taille suivent souvent la même logique.
La généralisation de la recherche exacerbée de rentabilité a généré un processus d’aspiration de l’argent qui enrichit de façon indécente une minorité d’individus. Ils sont au sommet de ce que nous appelons la Pyramide.
Dans cette représentation schématique du monde, nous avons placé des groupes d’intérêts privés au dessus des pouvoirs politiques parce qu’ils peuvent attaquer des États en justice si ces derniers prennent des décisions qui leur portent préjudice. Les gouvernants sont soit dans une collusion d’intérêts avec les plus riches, soit sous leur pression. Dans les pays ayant des régimes autoritaires, la vie économique reste subordonnée au pouvoir politique ; l’enrichissement des acteurs économiques crée un réseau d’obligés qui permet aux gouvernants de rester en place. L’accaparement des richesses et du pouvoir est un moyen fréquemment utilisé pour nourrir l’ego, en mettant de côté les injustices qui en découlent ou sans les voir. Ce comportement d’appropriation est observable dans toutes les classes sociales, dans toute les activités et aussi au sein des relations.
Revenons au monde. Il est actuellement divisé en nations qui s’affrontent, militairement ou économiquement. Les conflits et les guerres ne font courir quasiment aucun danger aux ultra-riches. Ils ont les moyens de se protéger, de migrer dans des zones de paix avant même que les conflits n’éclatent. Les populations n’ont pas cette possibilité. Elles subissent aussi davantage les désordres écologiques provoqués par l'expansion débridée d'une économie du rendement. Les ultra-riches se donnent bonne conscience, au mieux, en investissant un peu d'argent dans les œuvres humanitaires.
Nous, les humains, sommes tous embarqués sur notre planète comme sur un bateau. L’humanité fait donc Société ; c’est pour le signifier que nous écrivons ce mot avec une majuscule. Une grande majorité de l’humanité souffre des conséquences du fonctionnement actuel du monde.
Comment en est-on arrivé à une Société injuste et violente ?
Remontons aux origines de l’humanité pour comprendre pourquoi les humains ont développé une Société injuste et violente. Quand ils ont commencé à se sédentariser2 il a fallu organiser les concentrations humaines. Des hommes ont assuré cette fonction3 et ont pris goût au fait que l’exercice du pouvoir leur permettait d’obtenir des privilèges qui flattaient leur ego. Ils ont assuré l’administration de ces premières cités avec le consentement des populations. Il est rassurant pour nous les humains de nous en remettre à quelqu’un qui veille à notre sécurité, car cela résonne avec notre expérience de petit enfant pris en charge par un adulte.
Dans les premières cités du néolithique, les populations acceptaient donc de se mettre sous l’autorité de personnes ayant pris le pouvoir. Elles pouvaient travailler dur pour elles, jusqu’à déplacer d’énormes pierres, menhirs, dolmens, etc. Ce sont les traces les plus visibles de cette époque, mais d’autres, plus discrètes, montrent que ces concentrations de pouvoir extrêmement importantes étaient régulièrement démantelées. L’hypothèse a été faite que lorsque la concentration de pouvoir et son corollaire l’injustice devenaient insupportables, des populations partaient en migration. Elles créaient une autre cité plus loin. L’histoire n’a fait que répéter ce type de scénario à des échelles de plus en plus grandes au fur et à mesure que les moyens techniques permettaient de contrôler des territoires de plus en plus vastes et des populations de plus en plus importantes.
(2) « Les dix millénaires oubliés qui ont fait l’histoire » de Jean-Paul Demoule – Éditions Fayard 2019.
(3) Au détriment des femmes, mais c’est un autre sujet.
Les religions monothéistes ont été un facteur de stabilisation de ces organisations politiques pyramidales, en les légitimant tout en en retirant des avantages. Quant à la monnaie, elle est vite devenue un outil au service de la domination des individus entre eux et au service du pouvoir politique pour faciliter le prélèvement des impôts souvent injustes.
Ce type d’administration paternaliste a perduré non seulement parce qu’il réactive notre besoin archaïque d’être pris en charge, mais aussi parce qu’il s’appuie sur des personnes qui en tirent des bénéfices personnels. D’autres, persuadées qu’il n’y a pas d’alternatives, ne font que s’en accommoder. Il y a toujours aussi des personnes pour s’opposer au pouvoir en place et à ses abus.
Les nations, construites sur ce modèle pyramidal, sont le théâtre d’affrontements. Des guerres d’ego pour accéder à la jouissance des privilèges du pouvoir, parfois des révolutions pour remplacer le pouvoir par un autre censé être plus juste. Malheureusement, l’histoire a montré que si des révolutions peuvent aboutir au remplacement des personnes au pouvoir, le même type de fonctionnement se répète. Les nouveaux dirigeants prennent goût aux privilèges procurés par leur nouveau statut et perdent de vue leurs objectifs initiaux de justice. Ils s’appuient alors sur la force et sur des idéologies pour asseoir leur place, brimer certaines catégories de population et réduire au silence toute contestation.
Dans le monde actuel il y a concurrence non seulement pour accéder à la richesse et au pouvoir, mais aussi tout simplement pour se faire une place dans la Société. Si tant de personnes entrent dans la compétition sociale, c’est parce qu’elle est sous-tendue par un ressort psychologique puissant.
Quel est le fondement psychologique de la compétition sociale ?
Nous avons déjà évoqué la collusion de l’exercice du pouvoir et de l’ego via les privilèges qui nourrissent l’ego. Nous utiliserons maintenant ce terme en l’écrivant avec une majuscule pour signifier que nous l’entendons dans un sens précis, celui que nous lui avons donné à partir des ses conditions d’apparition.
L’Ego est plus que la conscience de soi, c’est la capacité à se faire une représentation de soi. Un nouveau-né n’a pas conscience de lui-même, mais dès ses premiers mois il commence à comprendre qu’il est une personne parce que ses parents lui parlent, parlent de lui, le nomment, et ont plaisir à le faire se reconnaître dans un miroir. Dans les bras de son parent face au miroir, il n’a pas conscience que c’est lui qu’il voit, c’est son parent qui le lui dit4. Lui, il se sent dans ses bras, il sent son Être, mais comme il a une confiance absolue en la parole de son parent il accepte l’idée d’être aussi dans le miroir. Prenant conscience que son prénom et son image le représentent, il les intériorise en tant que représentation de soi. C’est la naissance de son Ego.
(4) Expérience précoce présentée par Jacques Lacan sous le nom de stade du miroir.
A l’époque de l’expérience du miroir, si le parent accorde plus d’importance à l’image de son enfant qu’à ce qu’il est réellement, l'enfant fait pareil. Il se focalise sur son image, son apparence. Il privilégie donc son Ego au détriment de son Être. Il entend alors ce que ses parents lui disent à travers le prisme de son Ego et se sent impliqué entièrement dans leur jugements (puisque l’Ego le représente). Son estime de soi est boostée par leurs compliments, dégradée par leurs critiques, ce qui met de l’enjeu dans ses relations. Pour s’assurer une bonne estime de soi il peut se soumettre aux attendus de ses parents afin d’obtenir des compliments. En grandissant, il peut nourrir sa bonne estime de soi en se faisant valoir, parfois en prenant l’ascendant sur eux pour les faire céder. Il s’habitue à cette façon d’être en relation et reproduit celle-ci avec tout le monde quand son cercle relationnel s’élargit.
D’une personne qui a été conditionnée à cette façon d’être en relation, se soumettant parfois, se faisant valoir ou s’imposant le plus souvent, nous disons qu’elle est dans le trop d’Ego. Elle vit ses relations comme un rapport de hiérarchisation, se percevant comme supérieure à ses interlocuteurs quand elle arrive à prendre l’ascendant sur eux, inférieure dans les autres cas. Tout cela inconsciemment. Se maintenir à la place de supériorité-domination lui est nécessaire pour préserver sa bonne estime de soi, mais elle sait qu’elle ne peut pas réussir à chaque fois. Elle s’accommode donc parfois de la place d’infériorité, attendant un revirement, faisant en sorte de le provoquer, ou compensant en prenant l’ascendant sur quelqu’un d’autre. Elle est vis-à-vis des autres dans une posture relationnelle de rivalité qui l’empêche de se détendre. Même quand elle est en position de supériorité elle doit rester vigilante, cette place pouvant lui être disputée à tout moment. Si elle a été conditionnée par son éducation à obéir, à occuper la place d’infériorité, elle le vit mal et peut d’ailleurs se rebeller.
La posture relationnelle de rivalité (PR de rivalité) est génératrice de tension, et cette tension est pourvoyeuse de jouissance. Certaines personnes y sont addictes et cherchent les conflits, les provoquent et les entretiennent. D’autres personnes peuvent être débordées par cette jouissance et basculer dans une violence sans limites dont seuls les humains sont capables. Exemple, s'acharner sur une victime. Les animaux sauvages ne font pas cela puisqu’ils n’ont pas d’Ego (ils ne sont pas capables de se représenter eux-mêmes). Lors d’un combat, il suffit que l’un batte en retraite pour que tout s’arrête et que la tension redescende progressivement.
L’Ego, dans sa dimension visuelle, a toujours été source d’interrogation pour nous les humains, comme l’atteste le mythe de Narcisse. Ce jeune homme amoureux de son reflet dans l’eau et qui en meurt. Quand nous avons été capables de fabriquer un miroir, puis d’en faire en série, cet objet est devenu banal et accessible à tous. Il a alors capté notre attention et l’a fixée sur notre image (notre Ego) plutôt que sur notre Être. En France, la production industrielle des miroirs coïncide avec la construction de la galerie des Glaces du Château de Versailles. Des nobles et des bourgeois ont alors voulu être comme des rois-Soleil. Il y avait des personnes pour le voir, s’en démarquer, s’en moquer, à commencer par Molière. Puis est apparue la photo, le cinéma, les stories, etc. La diffusion des images de soi est devenue tellement facile qu’elles sont maintenant omniprésentes, et elles ont une telle influence sur notre rapport à nous-mêmes que certaines personnes veulent corriger leur image. Le progrès le permet avec l’intelligence artificielle et pour les personnes qui veulent corriger leur corps il y a la chirurgie esthétique.
Il est à noter que l’image a toujours servi à marquer les différences de statut social. On faisait le portrait des puissants pas celui des « petites gens ». Les tenues vestimentaires affichaient l’appartenance à telle ou telle classe, les noms à particules signifiaient le rang et les privilèges de classe nourrissaient le sentiment de supériorité. C’est toujours le cas, mais de nos jours la hiérarchisation des personnes s’étend bien au-delà des classes sociales. Tout un chacun peut se penser supérieur à son voisin sur la base de n’importe quel critère. Cette propension à se hiérarchiser est souvent justifiée par le fait incontestable que nous sommes tous différents en termes de capacités physiques, intellectuelles, manuelles ou artistiques. Dans le champ idéologique les critères de hiérarchisation sont infinis : richesse, beauté, origine, religion, orientation sexuelle, opinion, etc. N’importe quelle différence peut servir de prétexte à se croire supérieur(e) parce que la rivalité fait feu de tout bois. Pour autant elle a des effets délétères sur nous-mêmes, sur nos relations, sur le climat social et sur la Société.
Au niveau individuel : la personne étant dans le trop d’Ego se fait une représentation d’elle-même par comparaison avec les autres, se sentant supérieure ou inférieure selon les situations, consciemment ou inconsciemment. Quand elle se sent supérieure elle doit tenir sa place pour garder sa bonne estime de soi, quand elle se sent inférieure elle le vit mal. C’est source de stress dans les deux cas, mais pour elle il n’existe pas d’alternative.
Au niveau des relations : une personne qui doit tenir sa place (supérieure) cherche à se mettre en avant, quitte à dévaloriser les autres, s’arc-bouter sur ce qu’elle affirme même si elle n’en est pas sûre et s’imposer. Son sentiment de supériorité peut la conduire non seulement à mépriser l’autre mais aussi à le maltraiter. Si au contraire elle se sent inférieure elle peut s’en accommoder tant bien que mal, ou guetter l’occasion de prendre (reprendre) la position de supériorité. Avec un tel enjeu de place – supérieure/inférieure ou domination/soumission – les relations sont inévitablement tendues.
Au niveau du climat social : les personnes étant dans le trop d’Ego aggravent les tensions dans les organisations. Il y a des conflits pour gravir les échelons ou pour défier le pouvoir en place. Des camps s’affrontent et les personnes qui ne s'inscrivent pas dans ces clivages sont souvent méprisées. Lorsqu’une personne étant dans la rivalité se trouve à la tête d’une organisation sociale, il y règne automatiquement un climat délétère5. Les personnes qui ont besoin de plaire à leur supérieurs pour se rassurer narcissiquement (trop d’Ego) entretiennent ce climat nocif, celles qui prennent une posture de rivalité de circonstance pour s’adapter aussi. C’est la plupart du temps inconscient.
Au niveau de la Société : la généralisation de la posture de rivalité a contribué à l’apparition de la Pyramide. La dynamique de rivalité s’y décline à tous les niveaux, entre les nations, entre les entreprises, entre clans mafieux, dans le classement des personnalités les plus riches, mais aussi entre nous tous. Nous devons nous intégrer dans une Société dans laquelle les places enviables sont en nombre limité. C'est pourquoi de nombreux parents pensent devoir « armer » leurs enfants pour la vie. Triste constatation qui peut néanmoins nous aider à prendre conscience que nous sommes nombreux à avoir été conditionnés à la rivalité, à notre insu.
Le ressort psychologique qui sous-tend la compétition sociale est donc narcissique. De nombreuses personnes ont été entraînées dans le trop d’Ego pendant l’enfance par leur éducation, d’autres à cause du poids de la primauté de l’image. La banalisation de la PR de rivalité a une incidence sur ce que nous appelons communément le système.
(5) Voir le film de Nicolas Silhol Corporate – 2016.
Conséquences de la posture relationnelle de rivalité sur le système
Le système est souvent invoqué en tant que responsable des injustices et des incohérences de la Société tout en nous laissant entendre que nous n’y pouvons rien. Par exemple si l’argent va toujours aux plus riches c’est à cause du système. Nous avons déjà souligné le rôle des acteurs de la vie économique, y compris les simples consommateurs, dans ce processus systémique. Approfondissons la question en nous appuyant sur les connaissances de la psychologie des groupes. Il est admis qu’un groupe est constitué de la somme de ses membres et d’une dynamique collective6. Cette dynamique collective produit un discours dominant qui valide et justifie les comportements les plus répandus dans le groupe. En tant que dynamique, elle produit un système qui se développe de façon autonome à l’intérieur du groupe, quelle que soit sa taille.
À l’échelle de la Société que constatons-nous ? Les comportements humains les plus fréquents sont : rivaliser, favoriser les apparences, rechercher l’enrichissement en tant que but. Le système qui en découle est donc dans la droite ligne de ces comportements.
(6) Le psychosociologue Kurt Lewin (1890-1947) est à l’origine de cette théorie que nous nous sommes appropriée.
- Système du « Toujours plus »
Décryptons plus précisément la chaîne de cause à effet qui produit le système en partant du premier maillon, l’individu. Les comportements de rivalité sont :
- Se comparer, vouloir être plus (riche, fort, beau, performant...) que les autres et avoir plus (d’argent, de pouvoir, de notoriété...) ;
- S’imposer ou se montrer comme étant supérieur : passer en force par l’autorité, l’intimidation ou la manipulation pour arriver à ses fins ; se faire valoir quitte à dévaloriser les autres ;
- Se soumettre ou accepter la dévalorisation : laisser dire et faire les personnes qui s’imposent pour avoir la paix ou en les admirant de savoir s’imposer ; s’auto-dévaloriser éventuellement ;
- Juger les autres catégoriquement : les admirer ou les mépriser selon qu’ils sont perçus dans le plus ou le moins.
La dynamique collective planétaire ne fait que transcrire ces comportements sous la forme d’un discours dominant dans lequel il est convenu que certaines personnes valent plus que d’autres, que les chefs sont une nécessité, que la compétition sociale est naturelle, qu’il est normal que les plus forts s’en sortent mieux que les plus faibles, qu’il y a toujours des gagnants et des perdants, que pour être un gagnant il faut savoir s’imposer, se faire valoir et masquer ses faiblesses, etc. Discours ponctué parfois d’affirmations sur la nécessité de venir en aide aux plus faibles et aux plus démunis, notamment lors de campagnes d’actions ciblées sur une cause particulière.
Ce discours dominant est créé par les humains, diffusé à grande échelle via les médias, la publicité, les films et séries, les réseaux sociaux et les jeux, si bien qu’il nous influence à son tour. La publicité instrumentalise souvent la rivalité pour déclencher l’acte d’achat. Les films et séries, en la mettant en scène, en renforcent l’acceptabilité, d’autant plus lorsqu’ils la rendent drôle ou esthétique. Des personnalités médiatiques, prises comme modèles par une partie de la population, assument publiquement des comportements irrespectueux.
Finalement nous avons généré un système qui s'auto-développe sur l'idée du toujours plus sans limites :
- Toujours plus d’argent par tous les moyens pour se rassurer narcissiquement et avoir du pouvoir ;
- Toujours plus de pouvoir et de notoriété par tous les moyens pour en jouir ;
- Toujours plus vite car le temps c’est de l’argent. Plus vite pour travailler afin de réduire les coûts, plus vite pour être informé avant les autres, plus vite pour régler des problèmes quitte à en créer d’autres par ailleurs ;
Toujours plus de communication. Être présents dans les médias et sur les réseaux sociaux est devenu indispensable pour développer une activité et pour exister socialement. Nous sommes sursollicités pour nous exprimer, évaluer, voter, liker. Communiquer sur notre travail est devenu plus important que ce que nous faisons réellement, à tel point que la communication pervertit le langage. Nous n’en sommes pas dupes lorsque nous disons d’un discours qu’il n’est « que de la comm’ ».
Il est difficile de critiquer un discours dominant, parce qu’y adhérer procure un sentiment d’appartenance et de sécurité. Le discours dominant actuel nous conditionne à adopter une PR de rivalité et le système qui en découle gangrène toutes les activités humaines. La recherche scientifique n’y échappe pas.
- Progrès scientifique et technique au service de la compétition sociale
Faisons à nouveau une rétrospective rapide de l’évolution de l’humanité pour comprendre comment le progrès est instrumentalisé au service de la rivalité et du pouvoir.
À l’origine de l’humanité des personnes se sont engagées dans le développement technique et ont permis la survie de notre espèce. Dès les premières organisations pyramidales les découvertes ont été accaparées par les puissants pour asseoir leur domination, et éventuellement l’étendre sur des populations voisines. Après l’accès à une relative sécurité, le progrès a permis aux humains de se consacrer à la recherche scientifique et philosophique ainsi qu’à l’exploration de la planète, tout en s’épargnant des tâches éprouvantes et peu épanouissantes. Les premiers savants appréhendaient toutes les connaissances de leur époque, puis quand cela n’a plus été possible elles ont été réunies dans des encyclopédies. Une scission est ensuite apparue entre les sciences dites exactes ou dures et les sciences humaines ou molles. Cette nomination a relégué au second plan la réflexion philosophique, dont l’éthique. Le progrès scientifique et technique s’est alors développé sans le frein de la philosophie et de plus en plus vite. La robotique, l’informatique, la financiarisation de l’économie et le développement d’Internet n’ont fait que renforcer le système. Les recherches scientifiques et techniques sont finalement accaparées par des personnes ultra-riches qui spéculent sur les futures découvertes. Toutes les activités sont concernées : l’agriculture, l’industrie, les communications, le numérique, la médecine, la génétique, le spatial, l'intelligence artificielle, etc.
Les innovations contribuent aussi à l’économie de marché mondialisée qui n’en finit pas d’accélérer, en dépit des conséquences environnementales et sociales. Résultat, nous polluons la planète, nous déséquilibrons son équilibre naturel et nous nous auto-détruisons avec des armes de plus en plus sophistiquées. Pourtant, la question Au service de quoi le progrès est-il mis ? est disqualifiée par les tenants du courant scientifique et technique. Pour éviter le débat ils accusent ceux qui la posent de vouloir revenir à l’époque de la bougie. Rien ne doit venir entraver la course de la technique et de la science dont les découvertes attisent des rivalités entre individus (notion de propriété intellectuelle), entreprises (secret des affaires) et nations (secrets d’État).
À partir du moment où quelque chose est rendu possible nous le faisons, puis nous innovons à nouveau pour régler les problèmes qui découlent de nos inventions. Exemple, nous développons des produits chimiques, puis des traitements pour soigner les maladies qu’ils provoquent. L’expression « Il n’y a pas de problèmes il n’y a que des solutions » nous incite à fonctionner de cette façon. Tout cela repose sur l’idée à priori rassurante que le progrès serait tout-puissant et infini.
Les pouvoirs politiques ne font que suivre ce mouvement sous la pression des grands groupes d’intérêts privés, ou par collusion d’intérêt avec eux. Ils entérinent les applications découlant de la recherche, au seul nom du progrès. La connotation positive de ce mot les empêche, et nous empêche, d’interroger le bien-fondé des innovations. De plus, au nom de la liberté, nous sommes prêts à tout accepter. Des personnalités ultra-riches peuvent décider seules de ce qui est bon pour l’humanité. Exemple, le projet de migration sur Mars d'Elon musk. Peu lui importe de tenter de sauver une infime partie de l'humanité en développant une industrie spatiale qui aggrave les désordres écologiques que le reste de l’humanité devra supporter. Nous sommes comme sur le Titanic, il n’y a pas suffisamment de places dans les canots de sauvetage. La grande différence est que nous pourrions œuvrer pour éviter que le bateau-planète coule. Les puissants – ultra-riches et gouvernants – arrivent néanmoins à fédérer autour de leur ambitions funestes en stimulant et flattant notre goût pour la science et la technique. Si le jour venait d'une telle migration, la rivalité battrait son plein pour faire partie du voyage et aller reproduire ailleurs les mêmes erreurs que sur Terre.
Non seulement le système délétère actuel fait perdurer l’injustice sociale, mais il l’aggrave. Les révoltes n’apparaissent jamais pour rien.
Cercle vicieux de violence
Subir de l’injustice, surtout quand cela se répète sans espoir de changement, peut provoquer des débordements violents. Condamner cette violence ou la réprimer tout en ignorant l’injustice subie en amont fait grandir le sentiment d’injustice. Il peut y avoir une nouvelle violence, réprimée plus sévèrement, et ainsi de suite. L’injustice est la première violence, mais elle est souvent invisibilisée.
En France, ces dernières années, il y a eu des révoltes dans les banlieues et le mouvement des Gilets jaunes. Le gouvernement a répondu par des mesures pansements et de la répression, sans remettre en cause le fait que la richesse et le pouvoir sont accaparés par quelques uns. Sa politique ne fait qu’alimenter le sentiment d’injustice de la population et provoquer l’entrée dans le cercle vicieux de la violence.
Concernant la violence des faits divers, elle relève plus d’une intolérance à la déception qui se transforme en frustration sous l’influence du trop d’Ego. Quand une violence fait la une de l’actualité, les médias évoquent « l’ensauvagement » de la société sans s’interroger sur le pourquoi. Les auteurs des violences sont parfois qualifiés de monstres. Les catégoriser de cette façon est une manière de les sortir de la catégorie des humains. C’est un mécanisme de défense qui vise à se protéger de l’idée déplaisante que tout humain peut potentiellement, dans certaines circonstances, basculer dans une violence jouissive sans limite. Ne pas pouvoir penser ce risque, c’est s’empêcher de le prévenir. Ne pas s’atteler à réduire les injustices d’une France à deux vitesses c’est se condamner à s’enliser dans la violence.
La France est incluse dans le monde et elle y défend ses propres intérêts, comme le font les autres pays. Certains Français sont nostalgiques de l’époque où elle tirait bien son épingle du jeu de la compétition entre les nations, mais les alliances internationales changent. Il y a actuellement d’un côté des pays démocratiques et de l’autre des pays à régimes autoritaires. Les premiers sont soumis aux diktats de l’économie, tandis que dans les seconds l’économie est instrumentalisée au profit des gouvernants. Quant aux ultra-riches, il sont présents des deux côtés.
Impasse économico-politique
L’idée de concurrence est au fondement du capitalisme. Adam smith7, réputé en être le père, avait affirmé que la « concurrence libre et non faussée » serait la seule voie capable d’apporter le bien-être, chacun cherchant à produire les biens et services les meilleurs au moindre prix. Il n'avait pas anticipé le fait que l'influence des Ego fausserait la concurrence, ni que la loi du marché conduiraient à une sur-consommation intenable écologiquement, ni qu’elle aboutirait à piller les pays qui détiennent des ressources naturelles, ni que tout cela entraînerait des conflits et des guerres.
Quant au socialisme soviétique et au communisme chinois, ils prônaient une régulation forte de l’économie par l’État pour garantir le bien-être de tous. C’était, c’est encore pour la Chine, sous-estimer l’influence des Ego. Les gouvernants favorisent un développement économique à leur profit. Ils se maintiennent au pouvoir en contrôlant drastiquement leurs populations et en les coupant le plus possible du reste du monde.
La vie politique et la vie économique sont indissociablement liées. En France il y a un clivage politique. Un premier camp – à droite – valorise les personnes qui s’enrichissent, sans chercher à savoir si leur ascension sociale est faite au détriment des autres et du bien commun. L’autre camp – à gauche – suspecte ces mêmes personnes en leur faisant un procès d’intention. L’enrichissement est perçu comme résultant d’actions menées sciemment au détriment des autres et de la collectivité.
Les discussions politiques donnent souvent lieu à un dialogue de sourds, à la télévision comme en famille. Chacun brandit sa réalité, pensant détenir la vérité sous prétexte qu’il s’appuie sur des faits qui sont vérifiables. Jacques lacan8 permet de relativiser cette notion de réalité-vérité en portant à notre connaissance une caractéristique très importante des humains.
Nous appréhendons le Réel9 par des mots, du Symbolique, mais le Symbolique ne peut jamais recouvrir tout le Réel.
(7) Adam Smith, philosophe et économiste du 18e siècle (1723 - 1790).
(8) Jacques Lacan, psychiatre-psychanalyste français (1901-1981).
(9) Le Réel appartient à une trilogie de concepts lacaniens : Réel – Symbolique – Imaginaire.
Nous sommes donc condamnés à prendre des fragments du Réel pour en construire une représentation. Cette construction est la réalité de chacun et elle découle des morceaux du Réel qui ont été sélectionnés. Elle n’est pas plus vraie que la réalité d’un autre construite avec d’autres morceaux du Réel. Sachant cela, pour appréhender le Réel au plus près il est nécessaire de tenir compte de tous les faits sélectionnés par les uns et par les autres. Le trop d’Ego l’empêche. La personne ne peut pas reconnaître que l’autre, considéré comme un rival, apporte quelque chose de sensé qui mérite d’être pris en compte. Elle s’en sentirait inférieure à lui, son estime de soi en serait dégradée.
En France toujours, la vie politique est focalisée sur la personne du président de la République. Son élection est celle qui mobilise le plus d’électeurs. Nous avons déjà évoqué la tendance des humains à s’en remettre à quelqu’un, un homme ou une femme providentiel(le) qui réactive notre besoin archaïque d’être pris en charge. Cette posture passive, quand elle est majoritaire, ouvre un boulevard à celles et ceux qui prennent une posture paternaliste et rassurante. Sommairement leur message est « Faites moi confiance, élisez-moi et je m’occuperai de tout ». Nous en remettre aveuglément à quelqu’un majore le risque d’abus de pouvoir.
Nous ne sommes pas confrontés à la guerre sur notre sol mais nous nous divisons, nous nous opposons, nous nous affrontons sur la base de toutes sortes de prétextes : l'origine, la religion, l'adhésion à tel ou tel parti politique, l'appartenance à telle ou telle catégorie socio-professionnelle, l'orientation sexuelle, etc. Il en va de même pour les populations des autres pays. Les ultra-riches en revanche ne sont pas divisés, leur fortune est un signe de reconnaissance et d’appartenance à une caste qu’ils pensent « supérieure » et dans laquelle il n’y a pas de racisme. Leurs enfants fréquentent les mêmes écoles internationales comme l’Institut Le Rosey en Suisse. Il est de leur intérêt que les populations continuent de s’entredéchirer, où qu’elles s’adonnent à une vie de loisirs, afin qu’ils puissent continuer tranquillement leur business. Plus cyniquement, ils se préparent à s’enrichir grâce à la reconstruction des pays détruits par la guerre.
Le revenu cumulé des milliardaires à l’échelle mondiale ne cesse d’augmenter, il est passé de 2 000 milliards d’euros en 2002 à 12 000 milliards en 202210. Simultanément les classes moyennes s’appauvrissent et le nombre de pauvres augmente. Schématiquement cela revient à resserrer les côtés de la Pyramide vers l’intérieur pour la transformer en une sorte de Chapeau de Merlin.
(10) https://fr.statista.com/statistiques/1409524/evolution-fortune-milliardaires/
- Société en Chapeau de Merlin
Nous en sommes là. Les pouvoirs politiques et les classes moyennes, prises en sandwich, subissent de plein fouet le mécontentement des classes populaires, protégeant ainsi malgré eux les plus riches. Des personnes appartenant encore aux classes moyennes sont elles aussi exaspérées, elles se paupérisent et craignent de se faire voler leurs biens. Nous subissons tous la violence, directement dans notre vie quotidienne (incivilités, vandalisme, agressions verbales et physiques) et par le biais des informations (faits divers, conflits sociaux, trafics illicites, migrations forcées, guerres et terrorisme). L’accroissement des violences fait peur, il est aussi un indicateur de l’aggravation de l’injustice sociale, qui est nous semble-t-il de moins en moins tolérée.
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Avec le développement d’internet nous sommes au courant en temps réels des drames qui se produisent dans tel ou tel pays. Quand une population subit du terrorisme, une répression politique ou même un accident climatique, nous sommes facilement en compassion avec elle parce que l’empathie est une caractéristique humaine.
2 – Le potentiel des humains
Notre Ego coexiste avec une composante de notre Être que nous (auteurs) avons identifiée sous la forme de quatre exigences fondamentales de sens, de justice, de paix et d’amour. Alors que l’Ego nous tire vers l’orgueil et l’égoïsme, nos quatre exigences fondamentales (4EF) nous incitent à l’empathie et l’altruisme. Elles constituent une pièce essentielle de notre raisonnement.
Quatre exigences fondamentales de sens, justice, paix, amour (4EF)
Les 4EF résonnent en nous et sont observables chez les jeunes enfants. Dès qu’ils commencent à maîtriser le langage ils posent des questions, de nombreuses questions souvent très pertinentes. En fait ils cherchent à comprendre le sens de ce qui se passe autour d’eux. Ils sont choqués par les injustices et posent des questions à ce sujet : « Pourquoi il dort sur le trottoir le monsieur ? » Ils aiment les ambiances paisibles ; des enfants vivant dans un environnement tendu avec de nombreuses disputes cherchent des lieux de paix, ce peut être chez des voisins accueillants, au contact de la nature, de la solitude. Quant à l'exigence d'amour, à entendre au sens large de l'amour d'autrui qui fonde l'empathie, elle est mise en acte par les très jeunes enfants qui peuvent tendre leur doudou spontanément à un enfant qui pleure. L'empathie est présente dès la naissance chez les humains. Dans les maternités, à l'époque où l'on faisait dormir les bébés dans une nursery pour que les mamans se reposent après l'accouchement, le personnel savait que si l'un pleurait il fallait l'apaiser rapidement ou le sortir de la pièce pour éviter que sa détresse se propage et fasse pleurer les autres.
Au moment du stade du miroir et malgré le climat social qui incite à être dans le trop d’Ego, un parent peut accorder toute son importance à l’Être de son enfant (et non pas à son image). L’enfant se focalise alors sur ce qu'il est, sur ce qu’il ressent. Son parent l’invite à en parler et leurs échanges permettent à l’enfant d’apprendre à mettre des mots sur ses ressentis. Si bien que quand un jugement le met à mal il peut le dire et trouver de l’aide et du réconfort auprès de l’adulte. Il apprend avec lui à pondérer des jugements catégoriques et disqualifiants. Par exemple, si une personne lui a dit qu’il était « vraiment nul » parce qu’il avait échoué à faire quelque chose, son parent l’aide à comprendre que traiter quelqu’un de nul parce qu’il a raté quelque chose, c’est excessif. C’est injuste aussi, parce que cette personne n’a pas cherché à comprendre pourquoi il avait échoué. Il peut aussi comprendre qu’il avait peut-être placé la barre trop haut, ou que quelqu’un lui avait placée trop haut. Où alors, qu’il a bien agi, mais que des événements imprévisibles ont entravé sa réussite. Avec cette aide bienveillante l’enfant peut même reconnaître qu’il n’a pas fait de son mieux. Il n’avait peut-être pas envie de faire cette chose et s’y était senti contraint, son échec prend alors le sens d’une résistance passive. Quoi qu’il en soit et quoi qu’en disent les autres, il ne se sent pas rabaissé. S’il a effectivement mal agi, son parent ne lui dit pas « tu es méchant » mais plutôt « ce que tu as fait est méchant ». L'enfant, connecté à ses 4EF, peut le reconnaître et envisager une réparation sans se sentir dévalorisé dans sa personne. Il peut aussi entendre des compliments, en être satisfait, sans pour autant avoir un sentiment de supériorité. Grâce à cette éducation il s’habitue à la posture relationnelle qui s’enracine dans ses 4EF, appelée posture relationnelle d’apparentement.
Posture relationnelle d’apparentement
Une personne qui est de manière habituelle dans la posture relationnelle d’apparentement (PR d’apparentement) est disposée à s’accorder avec les autres d’égal à égal, quelles que soient les différences d’âge, de sexe, de niveau d’études, etc. Il s’agit d’une égalité symbolique en tant que personne. Elle considère que son interlocuteur peut lui apporter quelque chose d’intéressant du simple fait qu’il est à une place différente de la sienne et qu’il a des expériences singulières. Il est donc possible de s’apparenter avec un enfant, un supérieur hiérarchique, un subalterne, puisque la PR d’apparentement ne dépend ni des compétences, ni du statut social.
Avec la PR d’apparentement, la personne est dans un rapport au langage fiable. Pour le dire sommairement elle fait ce qu’elle dit et dit ce qu’elle fait. Elle utilise les mots pour penser et ordonner ce qui se passe en elle, autour d’elle et pour en dire quelque chose à son interlocuteur sans chercher à le dominer ni le heurter. C’est ce que nous appelons le Rapport symbolique au langage.
Le langage est un outil de communication extraordinaire, mais il est intrinsèquement source de malentendus du fait que les mots peuvent avoir plusieurs significations et que nous avons un rapport affectif avec eux. Le rapport symbolique au langage permet de lever facilement les équivoques parce que la personne parle authentiquement et peut reconnaître s’être exprimée de manière ambiguë ou maladroite.
Bénéfice de l’apparentement sur les relations
La PR d’apparentement a de multiples avantages. Elle permet de gérer nos émotions, d’être détendus dans nos relations, d’accéder à la joie et de désamorcer des éventuels conflits.
- Gestion des émotions
Être centrés sur ce que nous ressentons et pensons permet de percevoir et de clarifier nos enjeux émotionnels sous-jacents. Il est alors plus facile de les exprimer posément et des les articuler avec le point de vue des autres.
Il peut y avoir tout de même des situations trop déstabilisantes qui peuvent faire surgir en nous de l’agressivité. Elles nous font brusquement nous positionner en PR de rivalité. Soit nous essayons de prendre l’ascendant sur notre interlocuteur, soit au contraire nous sommes incapables de réagir face à son culot ou sa mauvaise foi. Nous finissons par nous en apercevoir et nous pouvons alors nous repositionner dans l’apparentement. Réagir, s’excuser s’il le faut. Ces glissements vers la rivalité sont quelque sorte des sorties de route relationnelle.
L’agressivité peut surgir aussi en cas d’agression, parce que nous ne contrôlons plus nos réactions, c’est notre cerveau qui nous fait agir sur un mode automatique. Nous pouvons attaquer, fuir ou rester paralysés sur place.
Quoi qu’il en soit, nos sorties de route relationnelles ne remettent pas en cause le fait que nous sommes habituellement dans l’apparentement, ou que nous essayons de nous y ancrer dans le cas où nous serions en train de nous déconditionner de la rivalité.
- Relations détendues
Lorsque nous sommes en relation avec une personne qui s’apparente avec nous, tout est simple. Les désaccords sont surmontés par la recherche d’un terrain d’entente, chacun tenant compte du point de vue de l’autre. Les malentendus sont levés facilement car chacun a accès à l’intentionnalité de l’autre, ce qui permet de passer outre une parole maladroite ou une mauvaise interprétation. Les non-dits sont rares et résultent d’une simple distraction, d’une empathie pour l’autre ou du fait d’attendre d’avoir trouvé les mots qui conviennent.
- Joie
La joie est l’émotion par excellence qui contribue à nous rendre heureux et elle est amplifiée quand elle est partagée. Elle est impossible à ressentir au détriment de quelqu’un, donc impossible à ressentir dans la posture de rivalité qui implique un dominé ou un inférieur. Elle remplace avantageusement la jouissance pour les personnes qui se déconditionnent de la PR de rivalité.
- Désamorçage des conflits
Du fait que la PR de rivalité est banalisée nous sommes souvent confrontés à des personnes qui veulent prendre l'ascendant sur nous. Simplement pour s’afficher comme étant supérieures ou pour chercher à obtenir quelque chose de nous, ne serait-ce que notre approbation. Les désaccords se transforment souvent en conflits. Nous sommes pris malgré nous dans un mode relationnel particulier dit discordant.
Le mode relationnel discordant est parfois difficile à repérer, particulièrement si c'est avec une personne aimée. La première chose qui peut nous alerter est le fait que la relation n’est pas tranquille. Nous avons du mal à faire entendre à cette personne notre point de vue. Nous n’osons pas lui dire certaines choses par crainte de sa réaction. Le deuxième signe à prendre en compte est qu’elle peut nous mettre en difficulté avec des demandes sans limites, nous obligeant alors à lui en mettre. Le troisième élément à prendre en compte est sa façon de nous parler. Elle peut le faire en haussant le ton, prenant un ton péremptoire, employant des mots trop compliqués ou des arguments cinglants, monopolisant la parole (nous la coupant), ignorant ce que nous disons et même en exprimant des choses contradictoires. Ce dernier point est très déstabilisant, d’autant plus que si nous lui rappelons ce qu’elle a dit précédemment, elle nie ou nous accuse de n’avoir pas bien compris. Elle peut aussi manipuler nos sentiments pour obtenir ce qu’elle veut, en nous flattant par exemple, en nous menaçant, ou en sollicitant notre empathie. Elle peut enfin nous cacher des informations ou nous en donner de fausses. Souvent nous l’apprenons après coup, seules l’intuition et l’hypersensibilité peuvent nous le faire sentir en temps réel. Cette personne étant dans la PR de rivalité, son rapport au langage est différent du notre, pour elle c’est le Langage sous l'emprise de l'Ego.
Si elle se met en infériorité, c’est un peu plus difficile à repérer parce que son attitude flatte notre Ego. Elle a tendance à s’effacer, à nous laisser parler et à acquiescer. Attention néanmoins, elle peut changer de position à tout moment et se placer brusquement en supériorité.
Malgré que le langage soit un outil de communication extraordinaire, il peut être perverti. Avec le langage sous l’emprise de l’Ego les malentendus s’enveniment parce que la personne ne dit pas ce qu’elle pense et ressent. Elle dit ce qu’elle pense devoir dire pour arriver à ses fins dans l’immédiateté de la relation. C’est pourquoi il y a des non-dits et des contradictions. Si nous la confrontons aux faits elle peut s’énerver ou basculer en position d’infériorité en s’auto-dévalorisant. Nous n’y sommes pour rien, c’est elle qui se sent dévalorisée dès la moindre erreur. Elle peut tout aussi bien se sentir supérieure si nous lui donnons raison parce qu’elle sur-réagit sous l’influence de son trop d’Ego.
La relation avec une personne étant dans la PR de rivalité est donc compliquée, mais le fait d’agir avec nos 4EF peut lui permettre de se comporter elle aussi au regard de ses 4EF. Si elle a juste une PR de rivalité de circonstance, elle peut se repositionner assez facilement dans l’apparentement. Si elle a été conditionnée à la rivalité le changement de posture relationnelle est plus difficile. C’est à force d’expérimenter des relations avec des personnes qui s’apparentent avec elle qu’elle pourra découvrir qu’elle peut être appréciée pour qui elle est, avec ses faiblesses et ses difficultés. De ce fait elle pourra se détendre progressivement. En revanche, si elle est ancrée solidement dans la rivalité par la jouissance qu’elle en retire, elle risque de ne pas pouvoir changer de posture relationnelle. Elle restera prisonnière en quelques sortes du trop d’Ego. Nous faisons l’hypothèse que c’est le cas des personnes dites perverses narcissiques et de celles qui pratiquent le gasligthing11
Les relations d’apparentement sont précieuses parce que rares dans un monde où la rivalité est banalisée, mais l’apparentement peut se transmettre. Sa généralisation parmi les membres d’une organisation a des effets sur son fonctionnement.
(11) Manipulation mentale qui vise à prendre le pouvoir sur une victime en la faisant douter de sa réalité, de ce qu’elle pense et ressent.
Bénéfice de l’apparentement sur le fonctionnement des organisations sociales
Commençons par une organisation familiale. Dans de nombreuses familles il y a des conflits et les personnes étant dans l’apparentement ont tendance à céder pour être tranquilles, ou parce qu’elles pensent qu’elles doivent le faire pour la paix sociale. Malheureusement, en prenant une position de soumission elles entretiennent à leur insu le mode relationnel familial de rivalité. Elles pourraient, à l’instar de Billy dans le film Billy Elliot12, ne pas se soumettre sans envenimer les relations pour autant. Une dynamique familiale peut évoluer et s’apaiser.
Au travail, la majorité des organisations sociales sont pyramidales et fonctionnent sur un principe simple. Les personnes qui sont au sommet sont survalorisées et ont des privilèges tandis que celles du bas sont dévalorisées et défavorisées. Les salaires et la reconnaissance augmentent en prenant du grade, ce qui pousse à la compétition sociale. Des personnes étant tout en bas de l’échelle hiérarchique, n’ayant pas de quoi vivre décemment, peuvent entrer dans cette compétition pour améliorer leurs conditions de vie. Dans les échelons supérieurs c’est souvent le désir d’avoir toujours plus d’argent et/ou de reconnaissance qui poussent à vouloir progresser. Évidemment il a toujours moins de places à l’échelon supérieur que de prétendants à y accéder.
Il existe des organisations hiérarchisées qui fonctionnent autrement. C’est le cas des corporations destinées à des missions spécifiques comme par exemple la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. La hiérarchie est acceptée car indispensable pour assurer la mission (sauver les personnes et les biens), et les compagnies fonctionnent bien parce qu’il y a un lien de confiance entre tous et une véritable reconnaissance de l'importance du rôle de chacun. Pendant le temps de l’action, des ordres partant du haut de la pyramide traversent tous les échelons hiérarchiques et sont appliqués au mieux, quitte à être modifiés parfois en fonction des contraintes du terrain. La mission des sapeurs-pompiers, consensuelle, guide les décisions et les actions de chacun pour une meilleure efficacité tout en évitant les risques inutiles. Lors du débriefing, systématique après chaque opération, la base exprime ses difficultés et ses éventuelles propositions pour y remédier. Les sapeurs-pompiers de terrain ne valent pas moins que ceux qui les dirigent. Leur confiance réciproque est la clé. Elle est effective parce que la mission et le fonctionnement répondent aux 4EF : sauver les personnes et les biens sans risques inutiles.
Envisageons maintenant comment il est possible de réintroduire du sens et de la justice dans une organisation qui dysfonctionne. Sa transformation peut se faire par la base. Analyser son fonctionnement permet de développer des évolutions tout en se protégeant.
Prenons l’exemple d’une entreprise ou d’un service public. L’ascension des personnes étant dans la rivalité ayant été facilitée, elles sont majoritaires aux postes décisionnaires. Elles mènent une politique visant à maintenir le statu quo pyramidal qui leur procure des privilèges. Pour cela elles favorisent les personnes jouant le jeu de la hiérarchie, c’est du donnant-donnant. Quant aux personnes étant dans l’apparentement, elles sont en difficulté car motivées principalement par la bonne exécution de leur mission. Elles s’épuisent à faire remonter les problèmes de fonctionnement et postulent parfois à des grades supérieurs pensant pouvoir améliorer la qualité du travail. Elles sont souvent déçues, voire sidérées devant des décisions insensées et/ou injustes provenant de leur hiérarchie. Il ne leur resterait qu’à partir, mais ce n’est pas toujours possible. Le burn-out peut survenir si elles n’arrivent pas à s’accommoder. Elles peuvent le faire en désinvestissant leur travail, ne le faisant plus qu’a minima mais en le vivant mal. D’autres personnes changent de posture radicalement, passant de l’apparentement à la rivalité parfois violente. Leurs actes sont alors sanctionnés tandis que la violence systémique de l’organisation est ignorée. Nous retrouvons dans les organisations sociales le risque du cercle vicieux que nous avons déjà décrit : violence invisible systémique → débordement violent visible (passage à l’acte isolé ou conflit social) → sanction de la violence visible sans prendre en compte la violence invisible → nouveau débordement violent → montée en puissance des sanctions contre les violences visibles, et ainsi de suite.
Comment faire face à ces difficultés ?
Le mieux est de commencer à parler avec les personnes identifiées comme étant dans l’apparentement, ce qui permet de libérer la parole en toute sécurité. Chacun peut ensuite repérer ses marges de manœuvre pour promouvoir des actions compatibles avec les 4EF. L’idéal est de le faire par des prises de parole collectives pour éviter qu’une personne soit stigmatisée. De nouvelles pratiques peuvent apparaître, parmi celles-ci, la prise de décision par consentement chaque fois que cela est possible.
La décision par consentement est une alternative à la recherche d’unanimité qui est difficile à obtenir, et au vote qui favorise les alliances et les rapports de force. Les discussions sont encadrées par des animateurs garants du fait que l’Ego des participants est mis en sommeil13. Chaque contribuant est donc en capacité de remettre en cause son idée lorsque quelqu’un démontre qu’elle n’est pas compatible avec l’objectif commun. Chacun peut aussi reconnaître la pertinence d’une idée énoncée par une personne perçue auparavant comme rivale. L’intelligence collective est alors à son efficience maximum, les décisions actées font sens pour tous et sont donc mises en œuvre dans un climat paisible. Cette méthode de management tend à se développer.
Avec l'apparentement, les différences de salaires exorbitantes entre les personnes étant en haut et celles étant en bas sont perçues comme excessives, et le mépris pour certaines tâches comme aberrant. Cette évolution des perceptions conduit logiquement à un ré-équilibrage des rémunérations. Les postes d’encadrement sont moins prisés car l’exercice du pouvoir n’est plus une jouissance mais une responsabilité. Dans le monde des entreprises, il existe déjà des organisations qui vont dans ce sens, par exemple les Sociétés Coopératives de Production (SCOP).
L'évolution d’une organisation pyramidale peut s’opérer aussi par le haut lorsque les personnes étant au sommet s’ancrent dans l’apparentement. Dans un tel contexte, les personnes ayant adopté une posture de rivalité de circonstance se repositionnent dans l’apparentement. Il restera sans doute toujours des personnes ancrées irrémédiablement dans la rivalité, mais devenues minoritaires, elles seraient encadrées. Schématiquement, tout cela revient à aplatir la pyramide sociale.
(12) Billy Elliot de Stephen Daldry – 2000.
(13) Un co-animateur reste un peu en retrait pour avoir du recul et aider l’animateur si nécessaire.
Il existe un modèle d'organisation alternatif à la hiérarchie pyramidale. Deux promoteurs de la permaculture14, dans les années 70, ont étendu les principes de cette dernière aux organisations sociales. Leur modèle est inspiré du fonctionnement de la nature, l’idée de base étant que le tout a besoin de chacune de ses parties pour fonctionner correctement. Il est en forme de fleur.
(14) Bill Mollison et David Holmgren.
Chaque partie constituante de l’organisation est placée dans un pétale, il n’y a donc pas de hiérarchisation entre les différentes fonctions. Les capacités managériales ne valent pas plus que la capacité de faire quelque chose d’utile, de solide, de beau. En conséquence il n’y a pas de personnes survalorisées ou dévalorisées. Chacun est libre de s’engager à la place qui lui convient en fonction de ses compétences et de ses envies. Les décisions sont orientées vers l’objectif commun, elles sont stables sans être rigides, modifiables en cas d’argumentation pertinente.
Le fonctionnement repose sur l'Éthique de la permaculture, avec ses trois principes : agir pour prendre soin de la nature – prendre soin de l’humain – partager la richesse. La flèche circulaire qui traverse tous les pétales illustre le fait que chaque membre de l’organisation s’empare de ces trois principes indissociables et agit en conséquence. C’est d’autant plus facile qu’ils sont en cohérence avec les 4EF. Il n’y a pas besoin d’investir dans un contrôle permanent des individus, chacun agissant en responsabilité. Ce fonctionnement, efficace et plaisant, ne peut advenir que dans une organisation dont la finalité respecte les trois principes de la permaculture.
La première difficulté qui entrave l’acceptation du modèle permaculturel est la jouissance que procure malheureusement la rivalité. Heureusement, la perte de jouissance provoquée par le renoncement à la rivalité est compensée par l’accès à la joie. Cette dernière est vraiment la plus-value de l’apparentement. La deuxième difficulté est la croyance que le fonctionnement pyramidal tel que nous l'avons développé serait naturel et inévitable. Il n’en est rien, il n’existe pas dans la nature d’organisations pyramidales reconduisant à leur sommet des héritiers. Les dessins animés du type Le Roi Lion entretiennent cette fausse croyance mais ne sont que des projections humaines sur le règne animal.
L’apparentement est efficace. Des chefs de petites et moyennes entreprises le savent depuis longtemps et le mettent en œuvre. Ils veillent à ce que leurs employés soient bien traités et trouvent du sens à leur travail. Ainsi, ils les fidélisent et obtiennent une meilleure qualité d’exécution. Depuis quelques années, nous assistons à un revirement dans le management au sein de très grandes entreprises. Elles ont pendant longtemps appliqué l’adage « Diviser pour mieux régner », mais elles commencent à en comprendre les limites. Maintenant elles se préoccupent du bien-être de leurs employés, mettent à leur disposition des salles de repos, de sport et favorisent la qualité des relations entre eux. Si elles le font, c’est qu’elles ont perçu la plus-value financière qu’elles peuvent en retirer. Le brainstorming (qui favorise la résolution de problème) est efficace uniquement si chacun se sent libre de parler sans peur du jugement des autres. La bientraitance n’est donc pas gratuite, mais prenons les choses du bon côté, si les grandes entreprises abandonnent le management par la rivalité c’est bien la preuve qu’il est contre-productif.
L’apparentement, du fait de son ancrage dans les 4EF, pourrait se généraliser et finir par impacter positivement le système actuel.
Bénéfice de l’apparentement sur le système
Des personnes ayant perçu l’aspect délétère du système actuel veulent en sortir. Leur démarche est parfois individuelle parfois collective, en créant par exemple des écolieux ou des écoles hors contrats. Malgré des difficultés de tous ordres elles peuvent arriver à force d’argumentation à faire accepter leur projet, mais les pouvoirs publics ne font que le tolérer. Il peut être remis en cause par un changement de loi, ou même par un changement d’interlocuteur dans l’administration. De plus des difficultés financières et des oppositions dans le voisinage peuvent aussi le mettre en péril.
Il est très difficile dans les faits d’aller contre un système et un discours dominant, c’est pourquoi nous pensons qu’il est plus pertinent d’agir en amont, au niveau des comportements individuels qui sont à l’origine du système. Nous avons déjà mentionné que ce dernier est déterminé par les comportements humains les plus fréquents (16). Le remplacement des comportements de rivalité par des comportements d’apparentement pourrait donc changer la nature du système. Les comportements d’apparentement sont :
- Identifier nos points forts et nos points faibles sans se positionner en supériorité ni infériorité ;
- Chercher un terrain d’entente au lieu de s’imposer. Argumenter pour faire comprendre à l’autre notre point de vue et écouter le sien. Changer d’avis s’il a des arguments convaincants au regard de nos 4EF ;
- Résister à ceux qui veulent passer en force en veillant à ne pas envenimer la relation pour autant ;
- Apprécier les atouts et les faiblesses des uns et des autres sans les hiérarchiser.
Notre dynamique collective se nourrirait de ces nouveaux comportements qui seraient validés par le discours dominant. Nous avons tous des points forts ainsi que des points faibles et ce n’est pas grave. Les échecs font partie de la vie, de l’apprentissage, ils peuvent nous permettre de progresser. Nous apprenons tout au long de notre vie. La réussite de choses exceptionnelles (en sport, art, artisanat...) est le résultat d’un parcours fait de renoncements, de doutes et d’échecs surmontés. Nous sommes tous porteurs d’un Ego qui nous attire vers l’égoïsme, mais aussi de 4EF qui nous incitent à nous préoccuper des autres, à cultiver la justice sociale et la paix.
Avec un tel discours, notre dynamique collective produirait un système qui développerait la recherche de sens, de justice, de paix et d’amour et qui s’inscrirait dans une nouvelle temporalité. Nous aurions ainsi du temps pour :
- Réfléchir aux conséquences de nos choix (paroles et actions) et nous assurer qu’ils sont en cohérence avec nos exigences fondamentales ;
- Chercher des solutions à nos problèmes en les historisant (ils ne surgissent jamais de nulle part) et en globalisant la réflexion pour ne pas impacter négativement d’autres domaines ;
- Bien faire ce que nous entreprenons, ce qui est une source de satisfaction et d’efficacité ;
- Prendre soin de soi et des autres, pour se remettre de la perte d’un être cher, accueillir un nouvel être au monde, cultiver l’amour, contempler la beauté de la nature ou de l’art, etc.
Il en est du système comme des organisations sociales, ce sont les individus qui en déterminent le caractère néfaste ou bénéfique. Nous sommes à la croisée des chemins, le discours dominant actuel est de plus en plus remis en cause. De nombreuses voix s'élèvent et présentent des contre-discours argumentés qui font sens pour de nombreux citoyens (ce petit livre en fait partie). Les personnes qui défendent l’actuel discours dominant, à court d’arguments pour justifier des fonctionnements qui génèrent de l’injustice, se sentent en danger. C'est pourquoi elles attaquent les contre-discours en affirmant haut et fort qu’ils sont mensongers, et elles disqualifient leurs auteurs en les traitant d’irresponsables, de complotistes.
De véritables débats publics permettraient aux citoyens d’entendre les contre-discours argumentés dont ils sont actuellement privés par les grands médias. Les chaînes publiques d’informations devraient être mandatées par le pouvoir politique pour les organiser et les rendre accessibles aux citoyens. Nous conseillerions alors la présence systématique d’un candide qui ferait clarifier et vulgariser le discours des experts.
Laissons-nous aller à imaginer que nous serions capables de vulgariser suffisamment les controverses pour les rendre accessibles aux adolescents et aux enfants. Ils seraient ainsi habitués à réfléchir et débattre sur les thèmes qui détermineront leurs futures conditions de vie. Ils pourraient même nous surprendre par leurs idées ! L’éducation s’en trouverait transformée, plus joyeuse, et nous pourrions tisser avec eux un lien de confiance intergénérationnel.
Bénéfice de l’apparentement sur la vie politico-économique
Le politique organise le vivre ensemble. Sa fonction est d’encadrer toutes les activités humaines y compris les activités économiques, tout en posant les bases de son propre fonctionnement. Les 4EF permettent d’identifier deux principes simples qui pourraient constituer un socle solide pour l’avènement de la justice sociale et donc la paix sociale. Le principe de non-hiérarchisation des personnes et celui de non-accaparement du pouvoir et des richesses. Tous deux peuvent s’appliquer dans tous les domaines d’activité et à tous les niveaux de pouvoir.
La PR d’apparentement est en cohérence avec ces deux principes, sa généralisation permettrait donc de développer une vie économique responsable socialement et écologiquement. Elle aurait moins besoin d’être réglementée et contrôlée. La vie politique (re)trouverait sa véritable raison d’être : garantir un cadre sensé et juste qui borderait les activités économiques et toutes les occupations humaines. L’exercice politique serait plus serein, ce qui favoriserait l’implication des citoyens dans ses différentes instances.
L’organisation de la vie collective est souvent abandonnée aux autres à cause de notre penchant à vouloir être pris en charge. Prenons conscience que grandir c’est s’assumer et faire sa part pour la collectivité. Il est d’ailleurs plaisant de participer à un collectif qui fonctionne dans l’apparentement et nous sommes libres de déterminer en responsabilité notre participation. Il y a des périodes de vie où l’on a moins de temps, voire pas de temps à y consacrer, ce n’est pas grave à partir du moment où la majorité de la population est active. Nous pouvons choisir dans quoi nous impliquer, un club, une association, une mutuelle, la commune, le pays ou au niveau mondial. Les enfants, même petits, peuvent aussi participer à la vie familiale. Les habituer à des petites tâches à leur mesure leur est bénéfique, c’est aussi une préparation à leur rôle de citoyen.
Avec l’apparentement les prises de décisions sont facilitées, néanmoins chercher un terrain d’entente prend du temps. Suspendre une prise de décision est parfois nécessaire pour cerner collectivement une situation dans sa globalité, pour laisser à chacun le temps de s’approprier le point de vue des autres et leurs observations. Quand la décision émerge, elle est à coup sûr plus pertinente. Des initiatives de gouvernance partagée sont d’ores et déjà mises en œuvre dans des associations, des entreprises, des collectivités locales.
À l’échelle gouvernementale, nous devons faire preuve d’innovation pour ne pas être contraints de devoir choisir entre ce qui a déjà existé. Nous pourrions tester par exemple un libéralisme qui serait à l’opposé du capitalisme dur. C’est à dire un libéralisme raisonné et responsable s’appuyant sur des citoyens raisonnés et responsables. Il y aura toujours des personnes dans le trop d’Ego qui tenteront de faire passer leur intérêt personnel avant tout, mais devenues minoritaires elles ne régiraient pas (plus) la vie collective.
Les jeunes ont certainement une capacité d’innovation supérieure à celle des seniors, du fait qu’ils ont été moins longtemps sous l’influence du discours dominant actuel. D’ores et déjà ils recherchent non seulement du sens à leur travail mais aussi une bonne ambiance. Des entreprises commencent à en tenir compte pour les attirer. Les jeunes ont aussi grandi avec Internet et ils raisonnent à l’échelle planétaire, ils sont particulièrement concernés par l’écologie et la paix. Ce sont eux qui subiront le plus les conséquences de décisions qui abîmeraient encore plus la planète et qui anéantirait tout espoir de paix, mais ce sont eux aussi qui bénéficieront le plus des effets d’un changement de modèle.
Bénéfice de l’apparentement sur le monde
La rivalité dans laquelle l’humanité est prisonnière est ancienne, mais après les deux Guerres mondiales les humains ont eu un premier sursaut collectif d’humanité. Ils se sont dit « Plus jamais ça ! », ils ont créé l'ONU et ont ratifié la Déclaration universelle des droits de l’homme. Malheureusement les désirs de jouissance du pouvoir et de l’argent étaient déjà trop prédominants dans la Pyramide, le piège de la rivalité s'était déjà refermé. En connaître le ressort – le trop d’Ego – permet de s’en déprendre.
Il est cohérent de penser qu’avec la généralisation de l’apparentement le monde ne pourrait que s’améliorer. L’admiration aveugle des ultra-riches diminuerait, leur sentiment de supériorité ne serait donc plus alimenté par le regard des autres. Leurs actions humanitaires complaisamment relayées par les grands médias ne feraient plus recette, il serait attendu d’eux qu’ils changent d’attitude, sortent de leur entre-soi et s’investissent pour le bien-être de tous. Il ne serait plus toléré que des intérêts personnels priment sur le bien commun et portent préjudice à d’autres personnes. Des mesures seraient prises pour y veiller à tous les niveaux de pouvoir, dans les familles, les entreprises, les associations, les conseils municipaux, les gouvernements et les organisations internationales. La compétition sociale diminuerait, les écarts de revenus entre les ultra-riches et les plus pauvres diminueraient progressivement. Schématiquement cela revient à aplatir la Pyramide.
Nous, les humains, avons des capacités cognitives extraordinaires. Nous avons développé la science, la technique, la philosophie et l’art. Nous avons aussi la capacité de partager des croyances à grande échelle. Notre talon d’Achille est notre Ego, il nous rend toute remise en cause déplaisante. Heureusement la petite blessure narcissique qui s’en suit n’est rien au regard de la satisfaction d’agir de façon sensée et juste. Le film Dark waters15 l’illustre. Un avocat défenseur d’une grosse industrie chimique des USA finit par l’attaquer après avoir compris qu’elle mettait sciemment la vie des personnes en danger. Il ne peut que suivre ses 4EF. Elles lui permettent de surmonter les difficultés professionnelles et familiales provoquées par son revirement, elles sont d’une force inouïe. Nous pouvons toutes et tous sentir cette force en nous.
(15) Film de Todd Haynes – 2020.
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L’apparentement étant psychologiquement moins stressant que la rivalité, sa généralisation ferait baisser le niveau d’anxiété des humains. Leur consommation de médicaments, d’alcool, de tabac et de stupéfiants diminuerait, donc leur production aussi, ainsi que les trafics associés. Les humains s’en porteraient mieux. Ils pourraient se projeter dans un avenir désirable pour eux et pour les générations à venir.
3 – Pour un avenir désirable
Il est encourageant et rassurant de comprendre que quand ce n’est plus l’argent qui procure une bonne estime de soi mais le fait d’agir en cohérence avec nos 4EF, alors la compétition sociale perd son sens. Que lorsque les postes décisionnaires ne sont plus perçus comme une jouissance de privilèges mais comme une responsabilité, alors les prétendants à ces postes sont moins nombreux et plus fiables. Que quand une personne n’a plus besoin de s’afficher avec les objets dernier cri pour garder une bonne estime de soi, alors elle devient fière d’entretenir ses biens pour les faire durer.
De nombreuses personnes se déconditionnent déjà du trop d’Ego et renoncent à la compétition sociale. Elles ne cherchent plus à grimper dans leur entreprise, ne mettent plus l’argent et la notoriété au premier plan dans leur vie. Certaines changent radicalement de vie et en témoignent. Elles disent vivre avec moins d'argent mais vivre mieux. De nombreuses personnes ont conscience qu’un mode de vie sur-consommateur n’est plus tenable écologiquement. Elles réduisent déjà leur empreinte écologique globale et non pas uniquement leur empreinte carbone. Il y a une façon très facile de le faire.
Puisque l’augmentation rapide des activités humaines nous a placés au bord de la catastrophe écologique, il saute aux yeux que nous devons ralentir. C’est simple à mettre en œuvre et cela ne coûte rien. En ralentissant notre rythme de vie nous faisons moins de choses, nous réduisons à la fois notre empreinte écologique et notre stress. Nous avons du temps pour envisager comment changer nos comportements. Cela peut être en effectuant nos déplacements à pied ou à vélo dès que possible plutôt qu’en voiture – en privilégiant les circuits courts pour que l’argent circule en bas – en limitant notre usage du numérique pour diminuer notre impact environnemental – en organisant nos vacances de façon écologique et éthique – en plaçant notre argent dans des organismes socialement responsables – en soutenant des entreprises sociales et solidaires – en votant pour des personnes qui incarnent leurs 4EF – etc. La liste est loin d’être exhaustive ! L’idée de ralentir n’est pas nouvelle, le mouvement Slow (Lent) est parti d’Italie dans les années 80 en réaction contre les fast-foods. Il s’est diversifié et internationalisé. La slow-life (vie lente) se décline maintenant dans tous les domaines pour prendre le temps de se déplacer, travailler, se cultiver, voyager, etc.
Une fois que nous avons compris que la publicité ne vise qu’à entretenir un désir de sur-consommation qui nourrit une économie de marché fondée sur une croissance infinie, nous nous en détournons. Nous n’achetons que ce dont nous avons véritablement besoin. Ce changement peut-être assez rapide parce qu’il ne dépend que de nous. Le processus de ré-organisation de l’économie sur de nouvelles bases sera plus long, mais il adviendra parce qu’il en est de l’intérêt de tous.
Sous l’influence des 4EF, la vie politique, la vie économique et le progrès œuvreraient pour tendre vers l’accès de tous à ce que nous appelons le Bien-être universel.
Ce Bien-être universel n’est pas gourmand en ressources naturelles, il met au premier plan la qualité de nos relations et la question du sens de la vie. Il n’impose rien de contraignant si ce n’est le respect de l’autre, des autres. Dans ce cadre, chacun reste libre de donner à sa vie le sens qu’il veut lui conférer.
Tous ces changements peuvent faire sens pour des personnes qui sont habituellement dans l’apparentement, mais c’est plus compliqué pour celles qui se sont éloignées de leurs 4EF. Certaines d’entre elles ont été abîmées par la vie, par des parents trop autoritaires ou perpétuellement insatisfaits, par des relations amoureuses toxiques ou par une société qui exclue les personnes non-conformes à ses attentes. Elles sont soulagées et heureuses lorsqu’elles comprennent qu’elles sont porteuses des 4EF, qu’elles ont de la valeur. D’autres personnes se sont éloignées de leurs 4EF pour des raisons diamétralement opposées. Elles ont été protégées dès leur plus jeune âge des turpitudes de la vie, valorisées et conditionnées à se penser supérieures aux autres. Il leur est plus difficile de se déconditionner du trop d’Ego parce la jouissance qui y est associée est majorée par leur sentiment de supériorité. Renoncer à cette part de jouissance est possible, d’autant plus que cela permet d’accéder à la joie, encore faut-il qu’elles aient conscience du manque de la joie.
Le trop d’Ego a régné pendant des centaines d’années, mais maintenant le fait de hiérarchiser les personnes et de s’accaparer la richesse et le pouvoir est de moins en moins accepté. Le rapport numérique des personnes assumant une PR de rivalité et celles qui préfèrent s’ancrer dans l’apparentement pourrait s’inverser, beaucoup plus rapidement qu’on ne le pense. Démonstration. Si une personne qui incarne ses 4EF transmet l’apparentement à deux de ses proches, lesquels font de même et ainsi de suite, au bout de 30 fois seulement nous serions déjà plus d’un demi milliard à agir dans l’apparentement. Plus d’un milliard au bout de 31 fois, deux milliards à la 32è fois !
Nous ne sommes pas les premiers auteurs à faire le lien entre les individus et la vie en société. Les promoteurs de la permaculture avaient déjà décliné leur modèle d’organisation à l'échelle d’une société.
Modèle inspirant : la « Fleur »
Toutes les activités humaines nécessaires au fonctionnement d’une société sont d’égale importance : cultiver la terre, construire des habitations et des outils techniques, instruire les enfants, pratiquer un art, faire fonctionner l’économie, gouverner, soigner. Chacun peut choisir de s’investir dans une activité qui fait sens pour lui avec la certitude de pouvoir en vivre dignement. Les différences entre les humains sont prises en compte, discutées, suscitent éventuellement de la curiosité. La flèche circulaire indique que ce sont les membres d’une société qui bâtissent la société dans laquelle ils vivent.
En France, mais aussi dans les autres pays, nous pouvons tous agir dans le respect de l’éthique de la permaculture16 quelle que soit notre place : agriculteur, enseignant, entrepreneur, ouvrier, avocat, policier, artiste, homme politique, éducateur, parent, intérimaire, etc. Les auteurs de ce modèle parlent de « révolution douce », l’expression peut surprendre mais à la réflexion elle est pleine de sens. Il s’agit bien d’une révolution menant à un changement radical de modèle ; pour autant, cette transformation peut s’opérer sans passer en force contre quiconque. Ce modèle peut très bien se décliner à l’échelle mondiale.
(16) Éthique de la permaculture : prendre soin de la nature, prendre soin des humains, partager les richesses.
Une telle représentation du monde est tellement éloignée de ce que nous vivons actuellement qu’elle pourrait être déconsidérée en tant qu’elle ne serait qu’une utopie. Mais l’utopie est utile, vertueuse, et elle nous indique une direction.
Conclusion
Lorsque vous sentez que quelque chose vous gêne en marchant, la première chose qui vous vient à l’esprit est de vérifier s’il n’y a pas un petit caillou dans votre chaussure et de l’enlever. C’est tout simple et ça suffit pour pouvoir marcher avec plaisir. Pour la Société, le petit caillou c’est le trop d’Ego. Il provoque des injustices, des clivages sur tous les sujets et potentiellement des dérapages violents.
La clé est en chacun de nous sous la forme de nos quatre exigences fondamentales de sens, justice, paix et amour. Elles peuvent conduire vers un avenir désirable pour tous. Il ne tient qu’à nous de nous laisser guider par elles, d’agir dans la posture relationnelle d’apparentement et de transmettre cette posture aux enfants. Le voulons-nous réellement ?
Ce choix se présente à l’humain depuis la nuit des temps, comme l’atteste cette sagesse ancestrale amérindienne :
Un vieil indien explique à son petit-fils que chacun de nous a en lui deux loups qui se livrent bataille. Le premier loup représente la Sérénité, l'Amour et la Gentillesse. Le second loup représente la Peur, l'Avidité et la Haine. "Lequel des deux loups gagne ?" demande l'enfant. "Celui que l'on nourrit." répond le grand-père.
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LE LIVRE
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Cet essai présente l'aboutissement d'une réflexion entamée en 2011, transmise dans un premier temps par des conférences intitulées Quelle société voulons-nous ? Soyons optimistes ! Elle a été transcrite dans un petit fascicule à la demande des auditeurs, puis dans un livre en 2015, auto-édité faute d'avoir trouvé un éditeur. Les évènements (attentats - état d'urgence prolongé) nous ont conduits à changer de titre, passant de Soyons optimistes à Osons l'optimisme, puis nous avons à nouveau mis à jour le livre en 2016 et 2019.
Lorsqu'en 2021 nous avons eu le sentiment d'avoir bouclé une boucle, nous avons cherché à nouveau un éditeur. Cédric Rutter, des Éditions La guillotine, est dans le même état d'esprit que nous, il a accepté de nous publier tout en nous permettant de laisser le texte intégral du livre sur notre site. Le titre est devenu Pour une révolution douce, puis à l’occasion de la troisième édition Un avenir désirable.
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« Les conflits dans le monde sont le miroir de nos conflits internes non résolus. » Eckhart Tolle.
Le défi des humains (PDF de l'article)
Depuis notre apparition sur terre nous, les humains, avons étendu nos connaissances à l'échelle de la planète puis au-delà, mais c'est sur terre que nous devons trouver un chemin pour vivre ensemble en paix.
C'est un vœu pieux nous a-t-on dit (à nous les auteurs), impossible à atteindre à cause de la nature humaine. L'homme serait "un loup pour l'homme" selon l'expression de Hobbes au 17è siècle. Cent ans plus tard il a été dit l'inverse, l'homme serait "bon par nature" (Rousseau) et les faits donnent raison tantôt à l'un, tantôt à l'autre. Si l'humain est capable du pire comme du meilleur, c'est sans doute parce qu'il les porte en germe tous les deux.
La contradiction constitutive des humains
Nous (humains) avons tous un Ego qui nous pousse à l'égoïsme, avec des degrés. À bas bruit c'est « voir midi à sa porte ». C'est aussi ne pas reconnaître ses tords, mépriser l'autre, vouloir avoir le dernier mot à tout prix, quitte à s'imposer ou manipuler un interlocuteur pour l'amener à quelque chose. L'influence de l'Ego peut aussi conduire à des faits de violence sur autrui. Heureusement nous avons aussi Quatre Exigences Fondamentales (4EF) de sens, justice, paix et amour qui lui font contrepoids. Ces 4EF sont observables chez les jeunes enfants. Dès qu'ils commencent à parler ils posent des questions, souvent très pertinentes ; ils cherchent à comprendre le sens de ce qui se passe autour d'eux. Ils sont choqués par les injustices, d'autant plus s'ils constatent que des adultes s'en accommodent. Ils aiment les ambiances paisibles ; des enfants vivant dans un environnement tendu avec de nombreuses disputes cherchent des lieux de paix, chez des voisins accueillants ou au contact de la nature. Quant à l'exigence d'amour, à entendre au sens de l'amour d'autrui qui fonde l'empathie, elle est mise en acte par les très jeunes enfants qui peuvent tendre leur doudou spontanément à un enfant qui pleure. L'empathie est présente d'emblée chez les humains. Dans les maternités, à l'époque où les nouveaux-nés dormaient dans une nursery pour que les mamans se reposent après l'accouchement, le personnel savait que si l'un pleurait il fallait l'apaiser rapidement ou le sortir de la pièce pour ne pas que sa détresse se propage et fasse pleurer les autres.
La thèse de Hobbes (l'homme est un loup pour l'homme) a longtemps été justifiée par une référence à la nature. La loi du plus fort était considérée comme la loi de la nature, mais maintenant des études montrent qu'il y en a une autre. Deux biologistes ont publié en 2017 un livre s'intitulant L'entraide – L'autre loi de la jungle1.
Notre développement cognitif nous a rendus capables d'imaginer des choses qui n'existent pas et de nous projeter mentalement dans des scénarios fictifs2. Nous nous sommes éloignés de plus en plus de la nature et de l'observation, donc des faits. Nous avons aussi développé une capacité de collaboration à très grande échelle grâce au partage massif de croyances. Tant et si bien que nous avons dompté la nature, puisé dans ses ressources sans retenue et l'avons repoussée pour construire de gigantesques métropoles. Elles sont de pierres, de béton, de verre et de routes bitumées, mais aussi de bric, de broc et de chemins de terre si l'on envisage les immenses bidonvilles qui les entourent parfois.
Comment se fait-il que l'humain, avec toutes ses capacités, ait finalement produit une immense injustice sociale ? Nous défendons l'idée que c'est parce qu'il a agi majoritairement et depuis la nuit des temps sous l'influence de son Ego. Nous allons l'expliciter en revisitant l'histoire de l'humanité à la lumière des connaissances de la psychologie.
1 Pablo SERVIGNE et Gauthier CHAPELLE. Éditions LLL – 2017
2 « Sapiens » de Yuval NOAH HARARI – Albin Michlel - 2020
Collusion entre l'exercice du pouvoir et l'Ego
Lorsque les humains ont commencé à se sédentariser des hommes ont organisé ces concentrations humaines (au détriment des femmes mais c'est un autre sujet) et ont pris goût au fait que l'exercice du pouvoir leur permettait d'obtenir des privilèges qui nourrissaient leur Ego. Ils ont administré ces premières cités avec le consentement des populations. Il est rassurant pour nous les humains de nous en remettre à quelqu'un qui veille à notre sécurité, car cela résonne avec notre expérience de petit enfant pris en charge par un adulte. Que cet adulte dysfonctionne par ailleurs n'y change pas grand chose pour l'enfant, il ne le voit pas. Il ne peut le percevoir qu'en grandissant, sauf s'il met pas en place un mécanisme de défense visant à préserver ce lien de confiance confortable malgré tout.
Revenons à la période du néolithique. Les populations acceptaient de se mettre sous l'autorité des personnes ayant pris le pouvoir. Elles pouvaient travailler dur pour elles, jusqu'à déplacer d'énormes pierres (Menhirs, Dolmens, etc.), mais des traces moins visibles de cette époque montrent que ces concentrations humaines étaient régulièrement démantelées3. L'hypothèse a été faite que lorsque le pouvoir devenait trop injuste, trop violent, les populations partaient en migration et créaient une autre cité plus loin... et ainsi de suite.
L'histoire n'a fait que répéter ce type de scénario à des échelles de plus en plus grandes au fur et à mesure que les moyens techniques permettaient de contrôler des territoires de plus en plus vastes et des populations de plus en plus importantes.
3 "Les dix millénaires zappés qui ont fait l'histoire" de Jean-Paul DEMOULE – Éditions Fayard 2019
Les religions monothéistes ont été un facteur de stabilisation de ces organisations politiques pyramidales, en les légitimant tout en en retirant des avantages. Quant à la monnaie, elle est vite devenue un outil au service de la domination des individus entre eux et au service du pouvoir politique pour prélever des impôts souvent injustes.
L'organisation paternaliste pyramidale et injuste du pouvoir satisfait les personnes qui en tirent des bénéfices. D'autres ne font que s'en accommoder, ayant toujours connu ce type d'organisation elles ne peuvent pas le remettre en cause. D'autres enfin se rebellent et organisent des luttes contre les pouvoirs abusifs. Les nations ont émergé sur ce modèle, elles sont agitées intérieurement par des conflits pour l'accès à la jouissance du pouvoir ou pour le renverser. Elles s'affrontent pour des questions de territoires et/ou d'intérêts économiques. Certaines personnes justifient cette organisation pyramidale en s'appuyant sur le fait qu'on la retrouve chez les animaux. Pourtant il n’existe pas dans la nature d’organisations pyramidales reconduisant à leur sommet des héritiers. Les dessins animés du type Le Roi Lion entretiennent cette fausse croyance, mais ne sont que des projections humaines sur le règne animal.
Nos organisations pyramidales fonctionnent le plus souvent de manière injuste. Les personnes étant en haut sont survalorisées et ont des privilèges tandis que celles d'en bas sont dévalorisées et défavorisées. Il existe néanmoins des organisations hiérarchisées qui fonctionnent autrement. C’est le cas des corporations destinées à des missions spécifiques comme une compagnie de sapeurs-pompiers. La hiérarchie est acceptée car indispensable pour assurer la mission (sauver les personnes et les biens), et la compagnie fonctionne bien parce qu’il y a un lien de confiance entre tous et une véritable reconnaissance de l'importance du rôle de chacun. Pendant le temps de l’action, des ordres partant du haut de la pyramide traversent tous les échelons hiérarchiques et sont appliqués au mieux, quitte à être modifiés parfois en fonction des contraintes du terrain. La mission des sapeurs-pompiers faisant consensus, elle guide les décisions et les actions de chacun pour une meilleure efficacité tout en évitant les risques inutiles. Lors du débriefing systématique la base exprime ses difficultés et ses éventuelles propositions pour y remédier. Les sapeurs-pompiers de terrain ne valent pas moins que ceux qui les dirigent.
Chez les sapeurs-pompiers la hiérarchisation des fonctions ne donne pas lieu à une hiérarchisation des personnes, alors que c'est ce qui se passe dans la majorité de nos organisations pyramidales. Ce glissement est la conséquence des agissements des membres de l'organisation qui se laissent happer par leur Ego et agissent sous son influence. Ils sont dans ce que nous appelons le "trop d'Ego". Précisons ce qu'est l'Ego.
L'Ego et la hiérarchisation des personnes
L'Ego est la représentation de soi. Il se construit dès la petite enfance, lorsque le bébé commence à comprendre qu'il est une personne parce que ses parents lui parlent, parlent de lui et ont plaisir à le faire se reconnaître dans un miroir. Il a parfaitement conscience d'être dans les bras de son parent et n'est pas sûr que c'est lui qu'il voit dans le miroir. Il se tourne alors vers son parent qui le lui confirme4. Par la reconnaissance de son image dans le miroir et de son prénom l'enfant accède à la représentation de soi. Elle est l'embryon de son Ego.
La dimension visuelle de l'Ego via le miroir a un effet potentiellement nocif. Si des parents accordent plus d'importance à l'image de leur enfant qu'à son Être (ce qu'il est réellement), l'enfant fait pareil. Il se focalise sur son image, son apparence, ce qui le décentre de son Être et de ses 4EF. Sa bonne estime-de-soi dépend alors de ce que les autres disent de lui, car après la parole initiatique lui ayant indiqué qu'il était dans le miroir des jugements arrivent. Ils impactent l'enfant dans toute sa personne puisque l'Ego le représente. L'enfant se sent alors "être quelqu'un de bien" un "moins que rien" selon la qualité des jugements. Il peut même développer un complexe de supériorité ou d'infériorité.
Une personne qui a pris l'habitude d'entrer en relation avec les autres via son Ego cherche inconsciemment sa valeur dans leur regard, ou cherche à se rassurer en prenant l'ascendant sur eux, se plaçant en supériorité. Elle est dans une posture relationnelle, dite de "rivalité". C'est source de tensions pour elle et pour ses interlocuteurs.
4 Expérience conceptualisée par J. LACAN sous le nom de Stade du miroir.
Conséquence de la hiérarchisation des personnes sur le fonctionnement des organisations sociales pyramidales
Quand la majorité des membres d'une organisation optent pour la posture de rivalité où s'en accommodent, pensant que c'est une fatalité, l'organisation dysfonctionne. Elle entérine la hiérarchisation des personnes et les différences de traitement en fonction de leur niveau hiérarchique. La référence à la nature sert souvent de justification, ainsi que l'antériorité millénaire de ce type de fonctionnement. Sommairement l'argumentation tient en une phrase "ça a toujours été comme ça, c'est naturel et ça ne peut pas être autrement".
Précisons pourquoi l'Ego contribue à pérenniser le dysfonctionnement des organisations pyramidales. S'approcher d'un chef (petit ou grand) nourrit l'Ego et ce gain narcissique est majoré par l'octroi d'avantages matériels et/ou pécuniaires, fussent-ils maigres en bas de l'échelle hiérarchique. Les personnes qui recherchent cela défendent ce mode de fonctionnement. Insistons sur le fait que la plupart du temps elles pensent sincèrement qu'il est nécessaire de s'adapter à ce fonctionnement considéré comme naturel et inévitable.
Conséquence de la posture de rivalité sur la communauté humaine
La mondialisation a commencé avec le développement intercontinental des transports et des communications. Toute la communauté humaine fait maintenant Société5, c'est un fait. Nous vivons dans une Société pyramidale dans laquelle les personnes sont hiérarchisées par l'argent. Nous l'appelons Pyramide (majuscule).
5 Avec une majuscule pour le signifier.
Nous y retrouvons la différence de traitement en fonction de la place dans l'échelle sociale. Les personnes qui sont en haut vivent dans une extrême richesse et celles qui sont en bas dans l'indigence. Entre ces deux extrêmes, certains s'en sortent et d'autres ont du mal à boucler les fins de mois. Narcissiquement, fréquenter une personne riche, puissante ou connue flatte l'Ego. Ce principe s'applique à tous les niveaux de la Pyramide, que ce soit en côtoyant une personnalité ou le notable d'un petit village. Les personnes qui recherchent cela, même inconsciemment, renforcent le monde tel qu'il fonctionne actuellement, celles qui s'y adaptent par défaut aussi.
Dans la Pyramide, la recherche de rentabilité financière est généralisée à tous les échelons, chez les actionnaires autant que chez la majorité des consommateurs. La vie économique prospère sur ce principe depuis longtemps. Certaines entreprises délocalisent pour réduire leurs coûts de production cherchant à augmenter toujours plus leurs marges. La consommation au moins cher est la norme, que ce soit pour l'achat d'objets, de services ou de loisirs. Les grandes multinationales répondent à cette demande des consommateurs tout en suscitant perpétuellement de nouveaux désirs de consommation, s'enrichissant encore plus grâce à l'augmentation du volume de leurs ventes. La généralisation de ces pratiques provoque un processus d'aspiration de l'argent vers le haut. Tant et si bien que de grands groupes d'intérêts privés supplantent maintenant des pouvoirs politiques nationaux6. Ils ont la possiblité d'attaquer des États en justice si ces derniers prennent des décisions qui porteraient préjudices à leurs intérêts.
6 Nous ne parlons ici que des régimes dits démocratiques, pas des régimes autoritaires dans lesquels l'économie est au service des gouvernants et de leurs proches.
Les gouvernants sont soit dans une collusion d'intérêts avec les plus riches, soit sous leur pression. Là encore le principe de la suprématie des intérêts privés sur le politique est à l'oeuvre à tous les niveaux, dans les communes jusqu'aux grandes organisations internationales comme l'Europe, en passant par les échelons intermédiaires, inter-communalités, régions, etc. Les citoyens le savent plus ou moins consciemment, ce qui explique en partie les taux élevés d'abstention aux élections et le peu d'investissement dans la vie politique, y compris locale.
Effet d'un recentrage sur les exigences fondamentales de sens, justice, paix et amour
En se référant à nos 4EF, les différences de capacité ou de fonction ne sont pas prétexte à une hiérarchisation des personnes. Les relations sont détendues, l'entraide prime et les désaccords se règlent posément. C'est ce que nous appelons la posture relationnelle d'apparentement. Le fait d'incarner les 4EF peut les faire résonner chez des proches qui s'en étaient éloignés (souvent par conditionnement éducatif et social), dans la famille, au travail, ou autre.
La généralisation de l'apparentement dans une organisation pyramidale a des effets sur son fonctionnement. Dans une entreprise par exemple, des différences de salaires exorbitantes entre les personnes étant en haut et celles étant en bas finissent par être perçues comme excessives et le mépris pour certaines tâches comme aberrant. Cette évolution des représentations conduit logiquement à un ré-équilibrage des rémunérations. Les postes d'encadrements sont moins prisés, l'exercice du pouvoir n'étant plus une jouissance mais une responsabilité. Nous pouvons illustrer schématiquement une telle évolution par des formes de moins en moins pyramidales.
Il y a déjà des entreprises qui vont dans ce sens, par exemple les Sociétés Coopératives de Production (SCOP). Il existe aussi un modèle d'organisation non-pyramidal, inspiré du fonctionnement de la nature. Il provient de la permaculture, promue par deux Australiens7 depuis les années 70.
7 Bill MILLISON et David HOLMGREN.
L’idée de base est que toutes les parties de l'organisation sont d'égale valeur, chacune étant placée dans un pétale. Il n'y a pas de hiérarchisation des fonctions. Les capacités managériales ne valent pas plus que la capacité de faire quelque chose d’utile, de solide, de beau. Chacun est libre de s’engager à la place qui lui convient en fonction de ses compétences et de ses envies. La pérennité de cette organisation repose sur ce qui est placé au cœur du modèle, l’Éthique de la permaculture : prendre soin de la nature, prendre soin de l’humain, partager la richesse. Chaque membre de l’organisation agit en conséquence, ce qui est signifié par la flèche circulaire partant du centre et traversant tous les pétales. Nul besoin de contrôler les faits et gestes de chacun. Pour fonctionner de cette façon il est nécessaire que l'objectif de l'organisation soit en cohérence avec l'Éthique de la permaculture, c'est ce qui permet de fédérer véritablement. Il peut toujours y avoir des personnes qui ont tendance à agir sous l'influence de leur Ego, mais elles sont minoritaires. Elles pourraient malgré tout destabiliser l'organisation, car la rivalité résonne avec l'Ego de chacun et pourrait se propager subrepticement. Connaître ce risque permet de mettre en place des actions pour l'éviter.
L'enjeu est de déterminer ce que nous voulons renforcer, en nous personnellement et socialement, l'Ego ou les 4EF. L'humain est confronté à cette question depuis la nuit des temps, comme l'atteste cette sagesse amérindienne :
Un vieil indien explique à son petit-fils que chacun de nous a en lui deux loups qui se livrent bataille.
Le premier loup représente la Sérénité, l'Amour et la Gentillesse.
Le second loup représente la Peur, l'Avidité et la Haine.
"Lequel des deux loups gagne ?" demande l'enfant.
"Celui que l'on nourrit." répond le grand-père.
Une Société plus juste est possible
La Pyramide est soumise au même principe de fonctionnement que les organisations sociales qui la constituent. Ces dernières forment simplement un niveau intermédiaire dans la chaîne qui relie les comportements individuels au fonctionnement de la Pyramide. Le monde actuel est tel que nous le créons, injuste et violent.
Nous pouvons raisonnablement penser qu'en promouvant l'apparentement le monde s'améliorerait progressivement. Chacun peut agir au regard de ses 4EF, quelle que soit sa place dans la Société : agriculteur, enseignant, entrepreneur, avocat, policier, artiste, homme politique, etc. Nous, les humains, avons la capacité de nous penser nous-mêmes et de nous remettre en cause (moyennant une petite prise de distance avec notre Ego). Le véritable progrès dont nous avons besoin c'est un progrès en humanité pour mettre enfin notre intelligence, l'économie, le politique, la science et la technique au service du bien-être de tous et de la paix.
Il est intéressant de savoir que les promoteurs de la permaculture avaient décliné leur modèle d'organisation à l'échelle Sociétale.
Il est aussi rassurant et plaisant de constater que les trois principes de la permaculture8 sont en cohérence avec nos 4EF de sens, justice, paix et amour. Cette modélisation est une utopie, en tant que telle elle nous est utile, elle nous montre le chemin, nous guide vers ce qui fait sens pour nous.
8 Prendre soin de la nature - Prendre soin de l'humain - Partager la richesse.
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« Changeons le système, pas le climat ». Slogan d'Alternatiba.
Faire évoluer le système (PDF de l'article)
Le système est souvent invoqué pour justifier des injustices et des incohérences tout en nous laissant entendre que nous n’y pouvons rien. Exemple, si l’argent va toujours aux plus riches c’est à cause du système. Nous (auteurs) adhérons à l'idée qu'il y a un dysfonctionnement systémique dans la Société1 mondialisée, mais nous pensons que nous pouvons corriger le système.
Nous nous sommes appuyés sur des connaissances issues de la psychologie des groupes. Il est admis qu'un groupe est constitué de la somme de ses membres et d'une dynamique collective2. Cette dynamique collective produit un discours dominant qui valide et justifie les comportements les plus répandus dans le groupe. En tant que dynamique, elle produit un système qui s'auto-développe et impacte le fonctionnement du groupe.
1 Société avec une majuscule pour signifier que les humains font Société de fait.
2 Le psycho-sociologue Kurt LEWIN (1890-1947) est à l'origine de cette théorie que nous nous sommes appropriée.
Cette origine du système vaut pour tous les groupes, quelle que soit leur taille. Que constatons-nous à l’échelle de notre pays et à celle de la Société ? Les comportements les plus fréquents sont sous-tendus par la rivalité : comparer et hiérarchiser les personnes, favoriser les apparences, rechercher l’enrichissement en tant que but. Le système qui en découle est donc dans la droite ligne de ces comportements.
Plus précisément, la rivalité revient à :
→ Se comparer et vouloir « être plus » (riche, fort, ...) que les autres et « avoir plus » (d’argent, de pouvoir, de notoriété...) ;
→ Se faire valoir, se montrer comme étant supérieur quitte à dévaloriser les autres ;
→ S'imposer par l’autorité, l’intimidation et/ou la manipulation pour arriver à ses fins ;
→ Se soumettre ou accepter la dévalorisation : laisser dire et faire les personnes qui s’imposent pour avoir la paix ou en les admirant de savoir s’imposer ; s’autodévaloriser éventuellement ;
→ Juger les autres : les admirer ou les mépriser selon qu’ils sont perçus dans le « plus » ou le «moins ».
La dynamique collective produit donc un discours dominant qui justifie ces comportements. Il est y convenu que certaines personnes valent plus que d’autres, que la compétition sociale est naturelle, que les chefs sont une nécessité, qu’il est normal que les plus forts s’en sortent mieux que les plus faibles, qu’il y a toujours eu des gagnants et des perdants, que pour être un gagnant il faut savoir s’imposer, se faire valoir et masquer ses faiblesses, etc. Message ponctué néanmoins parfois de déclarations sur la nécessité de venir en aide aux plus faibles et aux plus démunis, notamment lors de campagnes ciblées sur une cause particulière.
Ce sont les individus qui créent ce discours dominant et le diffusent dans les réseaux sociaux, les médias, la publicité, les films, les séries, si bien que ce message nous influence. La publicité instrumentalise souvent la rivalité pour déclencher l’acte d’achat. Les films et séries en la mettant en scène en renforcent l’acceptabilité, d’autant plus lorsqu’ils la rendent drôle ou esthétique. Des personnalités médiatiques, prises comme modèles par une partie de la population, assument publiquement des comportements irrespectueux.
Adhérer au discours dominant procure un sentiment de normalité et de sécurité, c'est pourquoi il est difficile pour certaines personnes de l'interroger. D'autres osent le critiquer et proposer éventuellement un contre-discours. D’autres encore l’attaquent frontalement et violemment, pensant que seul un rapport de force pourrait le faire changer. Cette dernière méthode ne fait néanmoins que renforcer la rivalité par l’affrontement de camps. Le constat est que l'actuelle dynamique collective et son discours dominant produisent un système qui développe le toujours plus sans limites :
→ Toujours plus d’argent par tous les moyens pour se rassurer narcissiquement et avoir du pouvoir ;
→ Toujours plus de pouvoir et de notoriété par tous les moyens pour en jouir ;
→ Toujours plus vite, car le temps c’est de l’argent. Plus vite pour travailler afin de réduire les coûts, plus vite pour être informé avant les autres, plus vite pour régler des problèmes quitte à en créer d’autres par ailleurs, etc.
→ Toujours plus de communication. Être présents dans les médias et sur les réseaux sociaux est devenu indispensable pour développer une activité et pour exister socialement.
Nous sommes sursollicités pour nous exprimer, évaluer, voter, « liker » (aimer). Communiquer sur notre travail est devenu plus important que ce que nous faisons réellement, à tel point que le langage en est perverti. Nous n’en sommes pas dupes lorsque nous disons d’un discours qu’il n’est « que de la communication ».
Ce système a gangrené toutes les activités humaines, si bien que nous avons créé un monde dans lequel la rivalité entre les individus est banalisée. Un monde dans lequel le progrès technique est au service de la rivalité entre les entreprises et entre les nations. Un monde dans lequel de grands groupes d'intérêts privés supplantent des pouvoirs politiques nationaux. Un monde dans lequel nous inventons et produisons des armes de plus en plus sophistiquées et efficaces pour la guerre, souvent sur fond de guerre économique. Armes qui servent aussi le terrorisme et la délinquance. Finalement nous avons donné naissance à un système qui s'auto-développe pour notre malheur.
Nous pouvons ressentir un sentiment d'impuissance face à ce système délétère, pourtant nous pouvons le modifier en agissant sur le premier maillon de la chaîne qui le produit : les individus. Les humains sont porteurs d'une contradiction intrinsèque. La connaître permet de comprendre pourquoi la rivalité s'est propagée et comment elle pourrait céder à la place à des comportements plus bénéfiques.
La contradiction intrinsèque des humains
Les humains ont un Ego qui les poussent à l'égoïsme et à la rivalité, mais aussi quatre exigences fondamentales (4EF) de sens, de justice, de paix et d'amour qui lui font contrepoids.
Ces 4EF sont observables chez les très jeunes enfants dès qu'ils commencent à parler. Il posent des questions, souvent très pertinentes, cherchant à comprendre le sens de ce qui se passe autour d'eux. Ils sont choqués par les injustices et posent des questions à ce sujet "Pour il dort sur le trottoir le monsieur ?". Des adultes peuvent raconter un souvenir d'injustice qui remonte à l'enfance et qui les a marqués, même s'ils n'en avaient été que témoins. Les enfants aiment les ambiances paisibles ; s'ils vivent dans un environnement tendu avec de nombreuses disputes ils cherchent souvent des lieux de paix, chez des voisins accueillants ou au contact de la nature par exemple. Quant à l'exigence d'amour, à entendre au sens de l'amour d'autrui qui fonde l'empathie, elle est mise en acte par les très jeunes enfants qui peuvent tendre spontanément leur doudou à un enfant qui pleure. L'empathie est présente chez les humains dès la naissance. Dans les maternités, à l'époque où les nourrissons dormaient dans une nursery pour que les mamans se reposent après l'accouchement, le personnel savait que si l'un pleurait il fallait l'apaiser rapidement ou le sortir de la pièce avant que sa détresse se propage et fasse pleurer les autres.
Pour des raisons que nous explicitons dans l'article Le défi des humains, la rivalité s'est propagée à grande échelle. En se généralisant elle a gangrené toutes les activités humaines et s'est banalisée. Voilà pourquoi nous avons construit un monde qui ne répond pas à nos aspirations profondes, mais rien ne nous empêche de nous recentrer personnellement et collectivement sur nos 4EF.
Vers un système vertueux ?
Agir au regard de nos 4EF c'est prendre une posture dite "d'apparentement". Elle consiste à s'accorder avec autrui d'égal à égal, avec empathie et bienveillance quelles que soient les différences, d'âge, de sexe, de niveau d'études, de richesse, d'origine, de religion, d'orientation sexuelle, etc. Il s'agit d'une égalité en tant qu'être humain, sachant que nous sommes tous différents en termes de capacité physique, intellectuelle, manuelle, artistique et de culture. Cette posture relationnelle d'apparentement conduit à des comportements spécifiques, opposés à la rivalité.
→ Comparer nos points forts et nos points faibles sans se positionner en supériorité ni en infériorité ;
→ Chercher un terrain d’entente au lieu de s’imposer. Argumenter pour faire comprendre à l’autre notre point de vue et écouter le sien. Changer d’avis s’il a des arguments convaincants au regard de nos exigences fondamentales ;
→ Résister à ceux qui veulent passer en force en veillant à ne pas envenimer la relation pour autant ;
→ Apprécier les atouts et les faiblesses des uns et des autres sans les hiérarchiser.
Supposons maintenant que les comportements d'apparentement se généralisent, ils seraient alors validés par un nouveau discours dominant : nous avons tous des points forts ainsi que des points faibles et ce n’est pas grave. Les échecs font partie de la vie, de l’apprentissage, ils peuvent nous permettre de progresser. Nous apprenons tout au long de notre vie. La réussite de choses exceptionnelles (en sport, art, artisanat...) est le résultat d’un parcours jalonné de doutes, d’échecs surmontés, de renoncements. Nous sommes tous porteurs d’un Ego qui nous attire vers l’égoïsme et la rivalité, mais aussi de 4EF qui nous incitent à nous préoccuper des autres et à cultiver la justice sociale et la paix.
La nouvelle dynamique collective produirait un système qui développerait la recherche de sens, d'un sens qui soit juste car c'est indispensable pour accéder à la paix. Un système qui s'inscrirait dans une temporalité nous permettant d'avoir du temps pour :
→ Réfléchir aux conséquences de nos choix (paroles et actions) pour nous assurer qu’ils soient en cohérence avec nos exigences fondamentales ;
→ Chercher des solutions à nos problèmes en les historisant (ils ne surgissent jamais de nulle part) et en globalisant la réflexion pour ne pas impacter négativement d’autres domaines ;
→ Bien faire ce que nous entreprenons, ce qui est une source de satisfaction et d’efficacité ;
→ Prendre soin de soi et des autres, pour se remettre de la perte d’un être cher, accueillir un nouvel être au monde, cultiver l’amour, contempler la beauté de la nature ou de l’art, etc.
Le discours dominant de rivalité est de plus en plus souvent remis en cause parce qu'il justifie des injustices que nous (humains) supportons de moins en moins. L'attaquer violemment est contre-productif nous l'avons déjà évoqué, mais c'est aussi potentiellement dangeureux. La violence fait peur et elle sert de justification aux tenants du pouvoir pour réprimer les contestataires. Le risque est d'entrer dans un cercle vicieux de violence. D'autre part, l'histoire a montré qu'un renversement de pouvoir pour instaurer une gouvernance qui oeuvrerait véritablement pour le bien de tous n'a jamais atteint son objectif. Les nouveaux tenants du pouvoir finissent par s'habituer aux privilèges associés à leur statut et perdent de vue leurs objectifs initiaux de justice. Ils utilisent alors la force et l'idéologie pour se maintenir au pouvoir, faire taire toute contestation, fermer leur pays et brimer certaines catégories de population. Les victimes ne sont pas les mêmes, c'est la seule différence.
Des contre-discours non violents (celui présenté sur ce site en fait partie) font sens pour de nombreux citoyens, à tel point qu'ils mettent en difficultés les personnes qui défendent l’actuel discours dominant. Ces personnes ont du mal à justifier des structures sociales et des fonctionnements qui génèrent de l'injustice. Elles tentent de le faire en affirmant que les rapports dominant-dominé et les organisations sociales pyramidales sont naturels et inévitables. Pourtant il n'existe pas dans la nature d'organisations pyramidales dans lequelles le pouvoir est attribué par vote, pas plus que par transmission à des héritiers. Les dessins animés du type Le Roi Lion entretiennent cette fausse croyance mais ne sont que des projections humaines sur le règne animal.
Les défenseurs du discours dominant, à court d'arguments, attaquent les contre-discours pacifiques en affirmant qu’ils sont mensongers. Des experts partiaux, voire achetés, leur fournissent une validation pseudo-scientifique qui est diffusée par les grands médias. De nombreuses personnes le relayent à leur tour et cela crée des tensions dans les familles, entre collègues, entre amis parfois. L'hostilité envers les auteurs des contre-discours conduit à ce qu'ils soient traités d'irresponsables et de complotistes.
Il conviendrait d'organiser de véritables débats qui permettraient de comparer les discours. Les chaînes publiques d’informations pourraient être mandatées par le pouvoir politique pour les organiser et les rendre accessibles aux citoyens. Nous conseillons pour cela la présence systématique d’un candide qui ferait clarifier et vulgariser le discours des experts.
Nous pourrions très bien vulgariser suffisamment les controverses pour les rendre accessibles aux adolescents et aux enfants. Ils seraient ainsi habitués à réfléchir et débattre sur des sujets qui les concernent au premier chef, car déterminants leurs futures conditions de vie. Ils pourraient même nous surprendre par leurs idées ! L’éducation s’en trouverait transformée et nous pourrions tisser avec eux un lien de confiance intergénérationnel.
L'actuel discours dominant bouge t-il ? Des publicités commencent à s'appuyer sur nos 4EF pour déclencher l'acte d'achat, c'est le signe que les citoyens y sont de plus en plus sensibles. Cette nouvelle sorte de publicité nous influence en retour, c'est donc un cercle vertueux. Le fait d'être informés en temps réel des injustices et des malheurs qui frappent des populations lointaines nous sollicite dans nos exigences fondamentales, dans notre empathie, ce qui peut expliquer notre intolérance grandissante à l'injustice. En France et dans les pays dits riches, de nombreuses personnes s'investissent pour compenser ou corriger les effets délètères du système actuel, pour développer une économie reposant sur des principes éthiques et écologiques, pour adopter un mode de vie recentré sur l'essentiel et donc plus sobre. Autant d'initiatives qui, se multipliant, peuvent enclencher un développement exponentiel de l'apparentement et transformer de ce fait la dynamique collective.
Nous (les auteurs) pensons que l'humain est capable de se remettre en cause et de progresser véritablement parce que cela répond à une aspiration profonde. Notre optimisme s'appuie aussi sur le fait qu'une personne centrée sur ses 4EF accède à quelque chose d'inestimable : la joie. Cette émotion est impossible à ressentir au détriment de quelqu'un, donc impossible à ressentir dans la posture de rivalité qui implique un dominé. La joie est l'émotion par excellence qui participe de ce qui nous rend heureux, et elle est amplifiée quand elle est partagée. Elle est la plus-value de l'apparentement.
L'émergence d'un système vertueux nous permettrait d'avancer sur un nouveau chemin, vers l'accès de tous au Bien-être universel.